Fortuné du Boisgobey (1821-1891)
"La nuit était sombre et froide.
Les grands arbres de la forêt de Saint-Germain, secoués par le vent d’automne, craquaient en inclinant leurs cimes sur une route étroite et profondément encaissée.
Par moments, une rafale plus forte chassait les nuages et la lune brillait à travers les feuilles.
On entrevoyait alors au fond du chemin creux un véhicule de forme étrange.
Ce n’était pas une voiture, et ce n’était pas une charrette.
Cela roulait cependant, car un bruit aigre de roues mal graissées se détachait sur le grondement sourd de l’orage qui passait dans les hautes branches.
L’objet avait la forme d’une longue caisse surmontée d’un tuyau en fonte et percée d’ouvertures latérales.
On eût dit une maison ambulante, et cette maison devait être habitée, car il s’en échappait des jets de lumière dont le reflet éclairait le taillis à droite et à gauche.
Le ravin pierreux que suivait ce logis voyageur tournait brusquement auprès d’un bouquet de vieux chênes et s’élevait ensuite par une pente assez raide.
Au bas de cette montée il y eut un temps d’arrêt, suivi du bruit sec et cadencé des sabots d’un cheval martelant les cailloux, puis le bizarre équipage, qui venait sans doute de rencontrer une ornière imprévue, s’inclina comme un navire surpris par un grain et resta accoté sur une énorme souche plantée là fort à propos pour l’empêcher de chavirer tout à fait."
1870 : Dans la forêt de Saint-Germain, non loin de Paris, le journaliste Valnoir et le commandant de Saint-Sénier ont rendez-vous pour un duel ; leurs témoins sont le journaliste bossu Taupier et le lieutenant de Saint-Sénier, cousin du commandant. Mais ils ne sont pas seuls... trois saltimbanques - l'hercule Pilevert, le paillasse Alcindor et la tireuse de cartes muette Régine - assistent, cachés, au mortel duel...