« CâĂ©tait dimanche, en automne, ma vie Ă©tait normale. Je ne me doutais pas Ă quel point elle pouvait ĂȘtre douce », confie Cilouin, juste avant dâapprendre, de sa bouche, que son frĂšre est atteint dâun cancer. Ce sĂ©isme nâa pas dâimpact sensible sur son quotidien. Il continue Ă travailler, Ă manger, Ă boire et Ă fumer, Ă essayer de vivre sa vie de trentenaire parisien. Câest Ă lâintĂ©rieur que cela se passe : insidieusement, lâombre planante de la mort de son frĂšre le travaille en silence. Les scĂšnes anodines de sa vie rĂ©elle sâentremĂȘlent dans la brume de souvenirs indistincts ou prĂ©cis et lui font prendre conscience de la prĂ©ciositĂ© de ces moments rĂ©volus. Ses projections influent de mĂȘme sur les scĂ©narios quâil doit rendre Ă son directeur de production, jusquâĂ lâamener devant le gouffre de cette lourde incertitude : quâest-ce qui est rĂ©el ? Quâest-ce qui ne lâest plus ? Mettre des mots sur des faits qui nous paraissent inenvisageables semble Ă priori ardu. Difficile Ă©galement de rĂ©aliser quelque chose qui ne nous est pas encore arrivĂ©. Les rĂ©flexions de Cilouin pourraient en ce sens sâĂ©tendre Ă la mort mĂȘme, Ă©picentre de ce roman. Car, comment approcher ce qui se dĂ©robe au langage et se tait ? Comment surmonter ce qui demeurera Ă jamais inaccessible ou imprĂ©cis aux survivants ? Des questionnements latents, des raisonnements vertigineux qui parcourent une « Tristesse des mandarines » faite dâĂ©clats dĂ©lĂ©tĂšres, sensuels, destructeurs et passionnĂ©s.