Le 12 août 1889, Madeleine L., garde-barrière à Cressier, écrit à l’ambassadeur suisse à Paris une lettre le suppliant de lui renvoyer sa fille, Marguerite, arrivée dans la capitale française quelques jours plus tôt. Comme elle, des milliers de Suissesses sont parties pour la ville Lumière. En effet, entre 1880 et 1914, les Suissesses représentent l’une des principales populations féminines étrangères de la capitale. À rebours des clichés qui font de la Confédération helvétique un pays de cocagne, se dégage de cette étude une émigration oubliée aussi bien dans le pays de départ que dans le pays d’arrivée. Ces migrantes sont bien souvent domestiques, mais les sources révèlent que l’argument économique n’est pas la cause principale de cette migration. Celle-ci s’avère avant tout une affaire d’opportunité professionnelle ou d’une migration d’un type nouveau : les migrations gestationnelles, de quelques mois, qui ont pour but d’accoucher à Paris et d’échapper ainsi aux rumeurs qui entourent les grossesses naturelles. Par leurs itinéraires, ces femmes montrent qu’elles savent saisir ou provoquer des opportunités, dévoilant ainsi toute leur capacité à être actrices de leur destin. À Paris, les Suissesses se retrouvent au sein d’une colonie helvétique très bien organisée, consciente du regard que la population locale porte sur l’Autre et actrice de cette réputation. Au carrefour de plusieurs champs historiographiques (histoire de l’immigration, histoire des femmes, histoire du travail, histoire de la ville et enfin histoire de la Suisse), ce travail, soutenu par des sources originales, dévoile des destins jusqu’alors méconnus.