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Le beau Laurence

E-book


George Sand (1804-1876)

"Laurence avait parlĂ© pendant deux heures, et la sympathie qu'il m'inspirait me faisait prendre un vif intĂ©rĂȘt Ă  ses aventures ; pourtant, je m'avisai qu'il devait ĂȘtre fatiguĂ©, et je l'emmenai dĂźner Ă  mon auberge, oĂč, aprĂšs avoir repris des forces, il reprit aussi son rĂ©cit.

Nous en sommes restés, dit-il, à mon départ pour l'Italie avec la troupe de Bellamare.

Avant de quitter Toulon, j'assistai à une représentation de clÎture qui me parut fort étrange. Lorsque le public était content d'une troupe qui avait séjourné quelque temps, il lui témoignait sa gratitude et lui faisait ses adieux en jetant des présents sur la scÚne. Il y avait de tout, depuis des bouquets jusqu'à des boudins. Chaque métier donnait un spécimen de son industrie, des étoffes, des bas, des bonnets de coton, des ustensiles de ménage, des aliments, des souliers, chapeaux, fruits, objets de coutellerie, que sais-je ? Le théùtre en était couvert, et quelques-uns furent attrapés au vol par les musiciens, qui ne les rendirent pas. Je n'ai pas besoin de vous dire que cet usage patriarcal est presque oublié aujourd'hui.

Tout alla bien au commencement de notre voyage.

Bellamare, sacrifiant son impatience d'avancer, consentit Ă  traverser l'Italie, oĂč nous fĂźmes, cette fois, quelques stations assez fructueuses. Nous y jouĂąmes l'AventuriĂšre, Il ne faut jurer de rien, les Folies amoureuses, le Verre d'eau, la Vie de bohĂšme, Adrienne Lecouvreur, un Duel sous Richelieu, la Corde sensible, Jobin et Nanette, je ne sais quoi encore. À cette Ă©poque, M. Scribe, qui commençait Ă  n'ĂȘtre plus de mode en France, faisait fureur Ă  l'Ă©tranger, et, dans quelques petites localitĂ©s, nous dĂ»mes mettre en vedette sur l'affiche les noms de Scribe et de MĂ©lesville pour faire passer les Ɠuvres de MoliĂšre ou de Beaumarchais. De mĂȘme, pour faire goĂ»ter les chansonnettes burlesques que Marco chantait dans les entr'actes, il fallut compromettre les noms de BĂ©ranger et de DĂ©saugiers."

Suite de "Pierre qui roule".

Pierre, fils de paysan auvergnat, est monté à Paris pour ses études de droit. Mais pour l'amour d'une actrice, Impéria, il devient acteur et s'engage dans une troupe de théùtre...