Jules Verne (1828-1905)
"CHARLESTON. â 27 septembre 1869. â Nous quittons le quai de la Batterie Ă trois heures du soir, Ă la pleine mer. Le jusant nous porte rapidement au large. Le capitaine Huntly a fait Ă©tablir les hautes et basses voiles, et la brise du nord pousse le Chancellor Ă travers la baie. BientĂŽt le fort Sumter est doublĂ©, et les batteries rasantes de la cĂŽte sont laissĂ©es sur la gauche. Ă quatre heures, le goulet, dâoĂč sâĂ©chappe un rapide courant de reflux, livre passage au navire. Mais la haute mer est encore loin, et, pour lâatteindre, il faut suivre les Ă©troites passes que le flot a creusĂ©es entre les bancs de sable. Le capitaine Huntly sâengage donc dans le chenal du sud-ouest et met le phare de la pointe par lâangle gauche du fort Sumter. Les voiles du Chancellor sont alors orientĂ©es au plus prĂšs, et, Ă sept heures du soir, la derniĂšre pointe sablonneuse de la cĂŽte est rangĂ©e par notre bĂątiment, qui, tout dessus, se lance sur lâAtlantique.
Le Chancellor, beau trois-mĂąts carrĂ© de neuf cents tonneaux, appartient Ă la riche maison Leard frĂšres, de Liverpool. Câest un navire de deux ans, doublĂ© et chevillĂ© en cuivre, bordĂ© en bois de teck, et dont les bas mĂąts, sauf lâartimon, sont en fer, ainsi que le grĂ©ement. Ce solide et fin bĂątiment, cotĂ© premiĂšre cote au Veritas, accomplit en ce moment son troisiĂšme voyage entre Charleston et Liverpool. Au sortir des passes de Charleston, le pavillon britannique a Ă©tĂ© amenĂ©, mais Ă voir ce navire, un marin ne pourrait pas se tromper sur son origine : il est bien ce quâil paraĂźt ĂȘtre, câest-Ă -dire anglais depuis la ligne de flottaison jusquâĂ la pomme des mĂąts.
Voici pourquoi jâai pris passage Ă bord du Chancellor, qui retourne en Angleterre."
Le Chancellor fait route de Charleston à Liverpool. Mais pourquoi prend-il une direction opposée ? Le capitaine a-t-il toute sa raison ? J.-R. Kazallon, passager du Chancellor, s'en inquiÚte et cela à juste titre car les passagers et l'équipage ne sont pas aux bouts de leurs tragiques péripéties...