Jules Verne (1828-1905)
"Je me nomme Natalis Delpierre. Je suis nĂ© en 1761, Ă Grattepanche, un village de la Picardie. Mon pĂšre Ă©tait cultivateur. Il travaillait sur les terres du marquis dâEstrelle. Ma mĂšre lâaidait de son mieux. Mes sĆurs et moi, nous faisions comme ma mĂšre. Mon pĂšre ne possĂ©dait aucun bien et ne devait jamais avoir rien en propre. En mĂȘme temps que cultivateur, il Ă©tait chantre au lutrin, chantre « confiteor ». Il avait une voix forte quâon entendait du petit cimetiĂšre attenant Ă lâĂ©glise. Il aurait donc pu ĂȘtre curĂ© â ce que nous appelons un paysan trempĂ© dans lâencre. Sa voix, câest tout ce que jâai hĂ©ritĂ© de lui, Ă peu prĂšs.
Mon pĂšre et ma mĂšre ont travaillĂ© dur. Ils sont morts dans la mĂȘme annĂ©e, en 79. Dieu ait leur Ăąme !
De mes deux sĆurs, lâaĂźnĂ©e, Firminie, Ă lâĂ©poque oĂč se sont passĂ©es les choses que je vais dire, avait quarante-cinq ans, la cadette, Irma, quarante, moi, trente et un. Lorsque nos parents moururent, Firminie Ă©tait mariĂ©e Ă un homme dâEscarbotin, BĂ©noni Fanthomme, simple ouvrier serrurier, qui ne put jamais sâĂ©tablir, quoique habile en son Ă©tat. Quant aux enfants, ils en avaient dĂ©jĂ trois en 81, et il en est venu un quatriĂšme quelques annĂ©es plus tard. Ma sĆur Irma Ă©tait restĂ©e fille et lâest toujours. Je ne pouvais donc compter ni sur elle ni sur les Fanthomme pour me faire un sort. Je mâen suis fait un, tout seul. Aussi, sur mes vieux jours, ai-je pu venir en aide Ă ma famille.
Mon pĂšre mourut le premier, ma mĂšre six mois aprĂšs. Cela me fit beaucoup de peine. Oui ! câest la destinĂ©e ! Il faut perdre ceux quâon aime comme ceux quâon nâaime pas. Cependant, tĂąchons dâĂȘtre de ceux qui sont aimĂ©s, quand nous partirons Ă notre tour.
LâhĂ©ritage paternel, tout payĂ©, ne monta pas Ă cent cinquante livres â les Ă©conomies de soixante ans de travail ! Cela fut partagĂ© entre mes sĆurs et moi. Autant dire deux fois rien."
1792 : le maréchal des logis Natalis Delpierre part en Allemagne passer son congé afin de voir sa soeur Irma. Mais la guerre entre la France et la Prusse éclate. Natalis doit retourner en France ; il est accompagné de sa soeur et d'amis. Le chemin de France sera périlleux.