Lorsqu’on écrit à Laon, la proximité du Chemin des Dames oblige à arpenter et à écouter les lieux. Le présent recueil est le récit de cette écoute tendue mais je crois finalement que je l’ai conçu comme une série de tableaux ; c’est pourquoi les illustrations sont tellement bienvenues. Cet ensemble décrit des vies hachées par la mitraille, des voix étranglées par l’émotion sur un chemin boueux et ferraillant. La mythologie des poilus et des drapeaux a été replacée dans notre modernité où tout paraît égal, emporté par le vent du siècle épuisé ; restent des corps tendres, des êtres modestes, non glorieux, qui flottent dans la mémoire et viennent se confesser, murmurant la tragédie, suscitant des espérances auxquelles il nous arrive de croire encore, nous, les vivants, les rêveurs, les témoins.
Lorsqu’un poète allemand est venu rejoindre mon travail pour en donner une version dans sa langue, j’ai senti que mon pari avait enfin trouvé la respiration qui convenait à cet univers. On voudra bien voir dans l’espace qui sépare les deux langues la tranchée d’alors : miracle de la poésie, nous voici Helmut Schulze et moi réunis à chaque syllabe, à chaque vers, sur la même page. Côtoiement de paix, imploration commune dans un chant à deux voix.
J’ai inventé ces récits tableaux pour que le Chemin demeure cet unique tombeau ouvert au vallon de la vie face à l’immense ciel d’espérance sous lequel l’écriture se déploie. La poésie seule avec son blanc tremblé si particulier a permis l’éclosion de ces dix-huit stations au frémissement concerté, que l’on peut lire comme un unique poème épique.