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Le jardin d'Epicure

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Anatole France (1844-1924)

"Nous avons peine Ă  nous figurer l’état d’esprit d’un homme d’autrefois qui croyait fermement que la terre Ă©tait le centre du monde et que tous les astres tournaient autour d’elle. Il sentait sous ses pieds s’agiter les damnĂ©s dans les flammes, et peut-ĂȘtre avait-il vu de ses yeux et senti par ses narines la fumĂ©e sulfureuse de l’enfer, s’échappant par quelque fissure de rocher. En levant la tĂȘte, il contemplait les douze sphĂšres, celle des Ă©lĂ©ments, qui renferme l’air et le feu, puis les sphĂšres de la Lune, de Mercure, de VĂ©nus, que visita Dante, le vendredi saint de l’annĂ©e 1300, puis celles du Soleil, de Mars, de Jupiter et de Saturne, puis le firmament incorruptible auquel les Ă©toiles Ă©taient suspendues comme des lampes. La pensĂ©e prolongeant cette contemplation, il dĂ©couvrait par delĂ , avec les yeux de l’esprit, le neuviĂšme ciel oĂč des saints furent ravis, le primum mobile ou cristallin, et enfin l'EmpyrĂ©e, sĂ©jour des bienheureux vers lequel, aprĂšs la mort, deux anges vĂȘtus de blanc (il en avait la ferme espĂ©rance) porteraient comme un petit enfant son Ăąme lavĂ©e par le baptĂȘme et parfumĂ©e par l’huile des derniers sacrements. En ce temps-lĂ , Dieu n’avait pas d’autres enfants que les hommes, et toute sa crĂ©ation Ă©tait amĂ©nagĂ©e d’une façon Ă  la fois puĂ©rile et poĂ©tique, comme une immense cathĂ©drale. Ainsi conçu, l’univers Ă©tait si simple, qu’on le reprĂ©sentait au complet, avec sa vraie figure et son mouvement, dans certaines grandes horloges machinĂ©es et peintes."

Anatole France, l'auteur de "Les dieux ont soif", s'essaie Ă  la philosophie...