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Les affres de la qualification juridique

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La qualification constitue la base de toute dĂ©marche juridique. Elle peut ĂȘtre dĂ©finie comme le processus intellectuel qui permet de rattacher un fait Ă  une catĂ©gorie, en vue de lui appliquer une rĂšgle de droit. En dĂ©pit des nombreuses Ă©tudes qui lui ont Ă©tĂ© consacrĂ©es, la qualification juridique n'a pas encore livrĂ© tous ses secrets. Mais l'on sait, notamment Ă  la suite des travaux du Doyen Henri Batiffol, qu'il y a deux Ă©tapes dans le travail de qualification. En premier lieu, une phase d'analyse, qui permet de sĂ©lectionner le fait ou les faits considĂ©rĂ©s comme pertinents ; c'est-Ă -dire de retenir au milieu des multiples circonstances de l'espĂšce, celles qui sont Ă  mĂȘme d'entraĂźner des consĂ©quences en droit. Puis, dans un second temps, vient la phase de jugement. Il s'agit alors de faire entrer le ou les faits prĂ©cĂ©demment isolĂ©s dans l'une des catĂ©gories admises par l'ordre juridique. Pour reprendre la cĂ©lĂšbre mĂ©taphore de la commode ; il faut d'abord choisir l'Ă©toffe que l'on souhaite ranger, pour dĂ©terminer, ensuite, le tiroir oĂč elle trouvera lĂ©gitimement sa place. Il arrive, bien sĂ»r, qu'en prĂ©sence d'une Ă©toffe prĂ©cieuse, ou particuliĂšrement rare, aucun tiroir ne semble appropriĂ©, sauf Ă  en forcer la nature. Car les catĂ©gories prĂ©existantes ne sont pas sans limite. Plus prĂ©cisĂ©ment, elles ne rĂ©pondent pas toujours aux attentes d'un monde en Ă©volution. Le progrĂšs technique, l'inventivitĂ© des parties, la plasticitĂ© des comportements conduisent Ă  un renouvellement des catĂ©gories juridiques. Celui-ci passe souvent par une Ă©tape intermĂ©diaire, oĂč la situation Ă©tudiĂ©e Ă©tant nouvelle ou inconnue se voit attribuer, faute de mieux, une qualification sui generis. En l'absence de critĂšres catĂ©goriques indiscutables, la qualification juridique n'est pas exempte d'incertitudes, de controverses, voire de dĂ©tournements. Aux hĂ©sitations inhĂ©rentes au choix d'une catĂ©gorie s'ajoute, en effet, le risque d'une instrumentalisation des catĂ©gories. Comment s'assurer que celui qui opĂšre le classement de faits n'oriente pas leur qualification en fonction des finalitĂ©s qu'il poursuit ? Sans doute serait-il prĂ©somptueux de prĂ©tendre Ă  une classification purement objective, dĂ©tachĂ©e de toute arriĂšre-pensĂ©e sur les rĂšgles qui dĂ©coulent de la catĂ©gorie retenue.