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Les dieux ont soif

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Anatole France (1844-1924)

"Evariste Gamelin, peintre, Ă©lĂšve de David, membre de la section du Pont-Neuf, prĂ©cĂ©demment section Henri IV, s’était rendu de bon matin Ă  l’ancienne Ă©glise des Barnabites, qui depuis trois ans, depuis le 21 mai 1790, servait de siĂšge Ă  l’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de la section. Cette Ă©glise s’élevait sur une place Ă©troite et sombre, prĂšs de la grille du Palais. Sur la façade, composĂ©e de deux ordres classiques, ornĂ©e de consoles renversĂ©es et de pots Ă  feu, attristĂ©e par le temps, offensĂ©e par les hommes, les emblĂšmes religieux avaient Ă©tĂ© martelĂ©s et l’on avait inscrit en lettres noires au-dessus de la porte la devise rĂ©publicaine : « LibertĂ©, EgalitĂ©, FraternitĂ© ou la Mort. » Evariste Gamelin pĂ©nĂ©tra dans la nef : les voĂ»tes, qui avaient entendu les clercs de la congrĂ©gation de Saint-Paul chanter en rochet les offices divins, voyaient maintenant les patriotes en bonnet rouge assemblĂ©s pour Ă©lire les magistrats municipaux et dĂ©libĂ©rer sur les affaires de la section. Les saints avaient Ă©tĂ© tirĂ©s de leurs niches et remplacĂ©s par les bustes de Brutus, de Jean-Jacques et de Le Peltier. La table des Droits de l’Homme se dressait sur l’autel dĂ©pouillĂ©."

1794 (an II) : Evariste est un jeune peintre sans talent croyant dans la rĂ©volution ; c'est un fidĂšle de Marat et de Robespierre. Son ascension dans le fanatisme l'entraĂźne Ă  la fonction de jurĂ© au tribunal rĂ©volutionnaire oĂč sa soif de sang n'a d'Ă©gal que sa jalousie.