Eugène Sue (1804-1857)
"Après quelques moments de silence, la veuve du supplicié dit à sa fille :
– Va chercher du bois ; cette nuit, nous rangerons le bûcher... au retour de Nicolas et de Martial.
– De Martial ? Vous voulez donc lui dire aussi que...
– Du bois, reprit la veuve en interrompant brusquement sa fille.
Celle-ci, habituée à subir cette volonté de fer, alluma une lanterne et sortit. Au moment où elle ouvrit la porte, on vit au-dehors la nuit noire, on entendit le craquement des hauts peupliers agités par le vent, le cliquetis des chaînes de bateaux, les sifflements de la bise, le mugissement de la rivière.
Ces bruits étaient profondément tristes.
Pendant la scène précédente, Amandine, péniblement émue du sort de François, qu’elle aimait tendrement, n’avait osé ni lever les yeux, ni essuyer ses pleurs, qui tombaient goutte à goutte sur ses genoux. Ses sanglots contenus la suffoquaient, elle tâchait de réprimer jusqu’aux battements de son cœur palpitant de crainte.
Les larmes obscurcissaient sa vue. En se hâtant de démarquer la chemise qu’on lui avait donnée, elle s’était blessée à la main avec ses ciseaux ; la piqûre saignait beaucoup, mais la pauvre enfant songeait moins à sa douleur qu’à la punition qui l’attendait pour avoir taché de son sang cette pièce de linge. Heureusement, la veuve, absorbée dans une réflexion profonde, ne s’aperçut de rien."
Tome II