François Baure
Les petits plaisirs anodins de Stéphane Monssard
Stéphane Monssard est un homme bien sous tous les rapports. C'est en tout cas ce que vous diraient ceux qui le côtoient au quotidien. Si un jour vous leur posez la question, ils vous assèneraient d'ailleurs cette vérité avec la tranquillité et l'aplomb de ceux qui savent. A commencer pour le patron de cette petite PME spécialisée dans les télécommunications qui, manifestement adepte de Tolkien à ses (rares) heures perdues, loue à qui veut l'entendre ce précieux collaborateur.
Ses collègues aussi qui respectent et apprécient le cadre dynamique, toujours affable, bouillonnant d'idées pour améliorer le travail au quotidien. Et pas que le sien, s'il vous plaît.
Ses voisins ensuite. Stéphane Monssard, poli, bien élevé, un mot gentil à la bouche pour tout le monde, n'était pas avare lorsqu'il s'agissait de rendre service. Il s'exécutait souvent sans assortir son aide généreusement distribuée du commun « à charge de revanche », ce qui mérite d'être souligné.
Ses amis et sa famille enfin. Eux vous expliqueraient sans nul doute que Stéphane est une personne agréable à vivre, dont la porte est toujours ouverte.
Il faut croire qu'il y a une justice en ce bas monde et que la vertu, qualité délicieusement ringarde, est encore récompensée de nos jours. Stéphane peut donc contempler régulièrement sur sa feuille de paye des augmentations venant saluer ses rentables efforts. Il a aussi l'immense bonheur de partager sa vie avec une magnifique blonde, Delphine, catapultée en son temps Miss Lorraine avant d'échouer
de peu sur les marches du podium dans l'épreuve ultime de Miss France. Excusez du peu. Mais Delphine ne se contente pas d'avoir une tête bien faite, elle peut aussi s'enorgueillir de l'avoir bien pleine. A 31 ans tout juste entamé, elle dirige une grande agence bancaire et mène ses troupes avec un habile mélange de fermeté et de douceur.
La touche finale sur ce délicieux tableau : Stéphane et Delphine sont les heureux parents de deux adorables gamines : Maeva, 5 ans, et Sandrine, 3 ans. Toutes les deux aussi blondes que leur mère, polies, bien élevées, intelligentes, resplendissantes de santé et de joie de vivre. Que demander de plus ?
D'aucuns pourraient peut être trouver la vie de Stéphane un brin routinière et monotone. Il faut l'avouer, elle est réglée comme du papier à musique. Travail, famille, week-end mensuel chez la belle-mère ou ses parents, vacances d'été les petits petons dans l'eau, Pâques le cul sur des télé-sièges. Et la semaine, tennis dans un club bon chic bon genre à raison de deux séances d'entraînement par semaine, le mardi et le vendredi. De temps à autre, au gré de ses envies et de son emploi du temps, il participe à quelques tournois dominicaux où il tape sur des balles jaunes avec ardeur. Effectivement, rien de remarquable à première vue. Sauf que...
- Tu montes ?
- Oui, chéri. Tu as retard aujourd'hui.
- Le boulot...
Nous surprenons notre héros un mardi soir. Alors que pour tout le monde, il est censé s'entraîner dans son club de tennis,
agrippant fermement le manche de sa raquette. Mais, voyez-vous, le mardi soir, c'est en réalité un tout autre manche qu'il manipule. Stéphane Monssard se fait tout simplement remuer les roubignolles par une pute. Une fille de l'Est. Une jeune brune aux yeux bleus. Vieux fantasme de notre ami collé à sa blonde par les liens sacrés du mariage.
C'est Loïc, un de ses compagnons tennismen, adepte de l'amour tarifé, qui lui avait vanté les mérites de Mina :
- Elle est ultra-canon, cette petite garce. Un cul bien ferme à ne pas débander, des petits seins vachement bien foutus. Et puis, c'est vraiment pas cher du tout.
Stéphane avait craqué il y a trois ans et s'en était allé tester les talents professionnels de Mina. Depuis, toutes les semaines, il retourne passer un agréable moment avec sa péripatéticienne attitrée. On est casanier ou on ne l'est pas.
Au tout début, Stéphane avait eu honte de ses pérégrinations du mardi. Il s'en était voulu un temps de tromper sa femme qu‘il aime, aucun doute là-dessus. Il n'appréciait pas non plus de mentir à son épouse. Pour tout dire, il avait aussi eu la frousse d‘être pris la main dans le sac. Il avait maintes fois baissé la tête quand Loïc, souvent invité à manger chez les Monssard, vantait à Delphine avec un aplomb phénoménal le sérieux que son époux mettait dans son entraînement sportif. Surtout celui du mardi. Ce genre de situation l'avait gêné aux entournures, même s'il appréciait d'être couvert par un bon copain.
Finalement, le plaisir qu'il prenait balaya bien vite tout questionnement moral. Après tout, ce n'est pas comme s'il aimait une autre femme. Il ne compte pas briser son ménage. Loin s'en faut. C'est juste une récréation agréable, l'assouvissement d'un fantasme. Un petit peu d'excitation dans une vie normale, presque banale. Rien de plus.
Il lui arrive même de penser quelquefois qu'il fait oeuvre de bien public en donnant un peu d'argent à cette belle prostituée venue d‘ailleurs, même s'il ne sait pas trop d'où elle vient. Avec des clients comme Stéphane, cela lui permet très certainement de beurrer les épinards. Et puis, jusqu'à présent, personne n'a découvert ces petites cachotteries. Pas même Delphine. Pourquoi donc s'en priver ? Aussi, Stéphane vit dorénavant très à l'aise entre sa conscience aux abonnées absente, sa petite famille et ses brèves escapades hebdomadaires.
- Voilà, nous sommes arrivés.
Stéphane arrête sa Mondéo à l'endroit habituel.
- Pareil que autrefois ? lance Mina.
Cette question posée dans un français maladroit fait son petit effet : excité par cet accent à couper au couteau et par la promesse des plaisirs à venir, notre bon français a une gaule du tonnerre.
Voilà donc Stéphane Monssard, père modèle, mari modèle, citoyen exemplaire, dont les immenses qualités sont vantées par tous, qui se tape sa pute sur la banquette arrière de sa voiture. Le lendemain, sur cette même banquette arrière, il installera avec douceur ces deux petites filles chéries afin de les amener à l'école.
- Trois passes ? C'est tout ce que tu ramènes, du pognon pour trois passes ? Tu te fous de ma gueule ou quoi ?
Stan ponctue chaque question posée d'une gifle puissante. Mina s'écroule au sol sous la violence des coups.
- C'est pas de ma faute, je te jure. J'ai fait le maximum mais il n'y avait pas beaucoup de passants aujourd'hui.
Elle n'avait pas 16 ans lorsqu'elle avait rencontré Stan pour la première fois. Elle habitait alors dans sa lugubre campagne roumaine et rêvait d'un avenir impossible à atteindre dans son pays.
Sa famille paysanne était pauvre, la vie n'était pas simple et il fallait travailler dur pour gagner juste de quoi survivre.
Alors il était venu. Stanislas, le beau russe. Il lui avait dit qu'il pouvait lui trouver du travail en France. Mannequin certainement. Elle était si belle et si désirable ! Aucune raison pour qu'elle ne perce pas dans le métier. Et puis, il l'aiderait, aucun souci là-dessus. Il avait des entrées dans le merveilleux monde de la mode, des amis, un réseau. Elle y avait cru, comme beaucoup d'autres filles de son âge. Le rêve était à portée de main.
Une fois débarquée en France, la réalité la rattrapa. Implacable et cruelle. Stan et ses potes lui prirent ses papiers, la battirent régulièrement, la droguèrent pour en faire une accro docile, la violèrent aussi quand l'envie leur prenait. Elle dut subir toutes sortes de frustrations, de tortures, de menaces. Stage d'acclimatation comme ils disaient en rigolant.
Après trois semaines de ce traitement, ces bourreaux l'estimèrent fin prête à faire le trottoir dans les rues de notre belle capitale. De fait, elle l'était. Elle ressemblait alors vaguement à un animal battu, effrayé par les colères de ses maîtres, obnubilé par l'idée de plaire pour ne pas se faire punir. Ils lui apprirent donc quelques rudiments de français. Assez pour attirer un client, papoter prix et prestations spéciales. Pas assez pour qu'elle se débrouille seule dans un pays étranger.
Elle eut alors l'espoir que l'argent ramassé lui permettrait de se constituer un petit pécule. Folle promesse de pouvoir échapper un jour à ses bourreaux. Espoir déçu. Stan récolte tout. Et malheur à la fille qui veut cacher une partie du fruit de son travail. Disposant d'un solide réseau chargé d'espionner toutes ses filles, Stan débusque bien vite les petites malines. La sanction est alors brutale, sans appel. Souvent la mort.
Elle se tient sur le parquet usé d'un minable immeuble parisien. Sonnée. Brisée. Stan se penche vers elle, un sourire carnassier méchamment dessiné sur les lèvres.
- La nuit prochaine, tu as intérêt à t'activer, ma jolie. Tu connais la règle ? 750 € par nuit. Sinon, je te bute et je m'envoie ta petite sœur ? On est OK ?
Un frisson la parcourt alors. Elle tremble à l'idée que ce monstre puisse infliger à sa petite sœur toutes les horreurs qu'elle avait subies. Elle sait qu'il en est capable.
- Je le ferai. Ne t'inquiète pas, finit-elle par répondre.
- C'est ton intérêt.
Il lui balance un coup de pied dans les côtes. Il quitte la pièce, satisfait. Il ferme la porte à clef. Laissée seule, Mina pleure alors le peu de larmes qui lui reste sur sa vie détruite et son humanité bafouée.
- Pour qui vas-tu voter, Stéphane ?
Il est dix heures ce mercredi lorsque, autour du distributeur à café de la petite PME dédiée à la télécommunication, notre héros se voit poser cette question. La campagne présidentielle bat son plein et elle passionne les Français. Partout, on discute, on palabre, on s'engueule. La France vit au rythme des candidats et de leurs déclarations journalières.
- Je sais pas trop encore mais je pense que je vais voter pour Sarko. J'ai bien aimé son travail à l'Intérieur. J'ai peur de l'insécurité, de la violence, des bandes, de la mafia, des dealers, des vols et tout ça, quoi. J'ai souvent peur pour ma famille et j'ai envie que mes deux filles grandissent dans un pays tranquille. Je crois qu'il peut continuer, en tant que président, ce qu'il a fait avant. Excusez-moi, je me sers un caf'.
Il se retourne, laissant ses collègues méditer ses belles paroles et introduit 1€ dans le distributeur. Il n'a certainement pas tort, Stéphane. La violence, c'est pas gégène. Il oublie simplement un petit détail. Lui, l'homme bien sous tous les rapports, afin de réaliser ses petits fantasmes, donne
chaque semaine soixante fois 1 € à des bandits qu'il exècre faisant ainsi prospérer leur petit commerce bien lucratif.
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