L’existence dépouillée des rivières, de Karine Fortin, illustre à l’aide de poèmes courts, aux images ancrées dans le réel, les sentiments et pensées de sa narratrice, qui interroge les mouvements parfois vivifiants, parfois destructeurs, de ses désirs. La poète de se demander :
suppose que tu veuilles arrêter l’écoulement du désir au vert feuillage
et que soudain le geste n’ait plus ce déploiement de rivière
qu’il perde tout de son sucre au bout des doigts
quels contours resterait-il à tracer
L’auteure lance de cette manière ses réflexions sur l’amour. Selon elle, c’est de ce mouvement que procède la parole poétique qui remet en question et qui crée parfois des empêchements à être, à dire, à aimer. Toutefois, si la parole ne suffit pas, elle est aussi ce qui reste après les amours inabouties, les amours comme une soif qui ne tarit pas :
vous ravivez le jour
l’allumette contre l’écorce
soufflez sur mes mots pour qu’ils prennent
avec vous entre mes lignes
l’amour ne crève plus de soif
il résiste à l’oubli
Au-delà de l’amour qui naît, intense, il y a l’amour qui s’allie le poème afin de brûler sans se consumer. L’amour ne se vit pas aisément. Le plus souvent, confie la poète, il achoppe sur l’espace séparant le rêve et la réalité. Et c’est là que le poème peut devenir mémoire du corps, puisque lui seul peut le nommer et le prolonger dans ses images : « les rivières passeront / laissant nos corps infiniment seuls/ parmi les vestiges ».