Emile Zola (1840-1902)
"Dans le train en marche, comme les pĂšlerins et les malades, entassĂ©s sur les dures banquettes du wagon de troisiĂšme classe, achevaient lâAve maris stella, quâils venaient dâentonner au sortir de la gare dâOrlĂ©ans, Marie, Ă demi soulevĂ©e de sa couche de misĂšre, agitĂ©e dâune fiĂšvre dâimpatience, aperçut les fortifications.
« Ah ! les fortifications ! cria-t-elle dâun ton joyeux, malgrĂ© sa souffrance. Nous voici hors de Paris, nous sommes partis enfin ! »
Devant elle, son pĂšre, M. de Guersaint, sourit de sa joie ; tandis que lâabbĂ© Pierre Froment, qui la regardait avec une tendresse fraternelle, sâoublia Ă dire tout haut, dans sa pitiĂ© inquiĂšte :
« En voilĂ pour jusquâĂ demain matin, nous ne serons Ă Lourdes quâĂ trois heures quarante. Plus de vingt-deux heures de voyage ! »
Il Ă©tait cinq heures et demie, le soleil venait de se lever, radieux, dans la puretĂ© dâune admirable matinĂ©e. CâĂ©tait un vendredi, le 19 aoĂ»t. Mais dĂ©jĂ , Ă lâhorizon, de petits nuages lourds annonçaient une terrible journĂ©e de chaleur orageuse. Et les rayons obliques enfilaient les compartiments du wagon, quâils emplissaient dâune poussiĂšre dâor dansante.
Marie, retombée à son angoisse, murmura :
« Oui, vingt-deux heures. Mon Dieu ! que câest long encore ! »
Et son pĂšre lâaida Ă se recoucher dans lâĂ©troite caisse, la sorte de gouttiĂšre, oĂč elle vivait depuis sept ans."
Le jeune abbé Pierre Froment entreprend le pÚlerinage annuel de Lourdes en compagnie de son amie d'enfance paralysée, Marie de Guersaint, et du pÚre de celle-ci. Ils rejoignent d'autres pÚlerins au "train blanc", spécialement affrété, dont s'occupent les soeurs de l'Assomption.
Emile Zola s'interroge sur Lourdes... et Dieu dans tout cela ?
"Lourdes" est le premier roman de la trilogie "Les trois villes".