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Ma première bestiole fantastique

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DOC BOOMERANG

Ma première bestiole fantastique

Insolite achat, hier matin, dans une foire agricole où je n'allais que par ennui ; insolite achat alors que je n'aime pas spécialement la daube et que je n'ai pas de vache à engrosser. D'habitude les gens achètent des chemises, des porte-jarretelles, de très grosses montres, des voitures qui ne servent pas ou des châteaux en Espagne. Mais moi, non, rien de tout ça. Mon achat compulsif ? Un taureau.

Quand je m'aperçus de l'énorme connerie que j'étais en train de faire, le portefeuille du maquignon venait d'avaler mes billets. Je plaidai mollement ma cause. Qu'allais-je faire d'un taureau ? Ne pourrait-on me rembourser ? Au moins me faire un bon d'achat ?

- Non ! Non ! Non !

Le maquignon résistait.

- Pas question !

A la rigueur, il pouvait garder le taureau dans son élevage, mais il gardait aussi l'argent !

Alors, quitte à perdre l'argent, j'emportai l'animal.

Je garai le taureau dans ma cave, et je me démenai une bonne partie de l'après-midi pour découvrir ce que mange un taureau. Ce n'est pas facile, quand vous êtes citadin de naissance. Ensuite, il fallut que je déniche un marchand de foin, que je transbahute le foin dans le sous-sol de mon immeuble, que je calme le concierge qui, alerté par les mugissements, menaçait d'appeler la police en hurlant que ça ne se fait pas, tout de même, garer un taureau dans une cave en pleine ville, dans quel monde vivons-nous ! Après que je lui eus glissé un billet de cinq cents – c'est beaucoup de faux frais, un taureau – dans la poche de poitrine, le concierge remonta en jurant qu'on n'allait pas en rester là, ça non, et puis quoi encore ! C'est beaucoup de tracas, un taureau.

Sauf le cauchemar où j'étais un héros de corrida, ma nuit fut calme.

Et le concierge m'affirma que le taureau avait bien dormi, lui aussi,

après avoir beuglé jusqu'à deux heures du matin.

Sitôt mon café bu, je descendis voir la bête. C'est alors que je remarquai cette déformation de la mâchoire inférieure qui semblait interdire à l'animal tout mouvement de tête vers la droite.

La mâchoire… la mâchoire… certes elle est déformée, la mâchoire.

Mais ce n'est pas le plus grave, maugréa le véto.

Il fit de nouveau le tour de la bestiole. Son visage se crispait. De plus en plus dubitatif. C'est une parodie d'organisme, que vous avez là, continua le docteur. Où avez-vous trouvé une bête pareille ? Il est borgne, il a les mouches au cul. Et vous avez vu ces pieds de cochon ? Et ces naseaux, là… je ne comprends pas…

disproportionnés… il n'y a même pas la place de la gueule !

Comment est-ce qu'il se nourrit, votre taureau ?

Je haussai les épaules. Je commençais à m'inquiéter. A l'abattoir, ils n'en voudront pas. Ils auraient trop peur d'empoisonner la clientèle. Devant mon désarroi, le vétérinaire me conseilla d'acheter d'autres animaux difformes et d'ouvrir un musée de bestioles fantastiques.

Reste à savoir si le concierge sera d'accord.