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Marianne

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George Sand (1804-1876)

"Quand tu passes le long des buissons, sur ce maigre cheval qui a l’air d’une chĂšvre sauvage, Ă  quoi penses-tu, belle endormie ? Quand je dis belle... tu ne l’es point, tu es trop menue, trop pĂąle, tu manques d’éclat, et tes yeux, qui sont grands et noirs, n’ont pas la moindre Ă©tincelle de vie. Or, quand tu passes le long des buissons, sans soupçonner que quelqu’un peut ĂȘtre lĂ  pour te voir paraĂźtre et disparaĂźtre, – quel est le but de ta promenade et le sujet de ta rĂȘverie ? Tes yeux regardent droit devant eux, ils ont l’air de regarder loin. Peut-ĂȘtre ta pensĂ©e va-t-elle aussi loin que tes yeux ; peut-ĂȘtre dort-elle, concentrĂ©e en toi-mĂȘme."

Tel Ă©tait le monologue intĂ©rieur de Pierre AndrĂ© pendant que Marianne Chevreuse, aprĂšs avoir descendu au pas sous les noyers, passait devant le ruisseau et s’éloignait au petit galop pour disparaĂźtre au tournant des roches.

Marianne Ă©tait une demoiselle de campagne, propriĂ©taire d’une bonne mĂ©tairie, rapportant environ cinq mille francs, ce qui reprĂ©sentait dans le pays un capital de deux cent mille. C’était relativement un bon parti, et pourtant elle avait dĂ©jĂ  vingt-cinq ans et n’avait point trouvĂ© Ă  se marier. On la disait trop difficile et portĂ©e Ă  l’originalitĂ©, dĂ©faut plus inquiĂ©tant qu’un vice aux yeux des gens de son entourage. On lui reprochait d’aimer la solitude, et on ne s’expliquait pas qu’orpheline Ă  vingt-deux ans, elle eĂ»t refusĂ© l’offre de ses parents de la ville, un oncle et deux tantes, sans parler de deux ou trois cousines, qui eussent dĂ©sirĂ© la prendre en pension et la produire dans le monde, oĂč elle eĂ»t rencontrĂ© l’occasion d’un bon Ă©tablissement.

La Faille-sur-Gouvre n’était pas une ville sans importance..."

Marianne est une jeune femme de 25 ans, aisĂ©e et Ă©prise de libertĂ©. Pierre-AndrĂ© a dĂ©passĂ© la quarantaine et estime ĂȘtre un ratĂ©. Ils se connaissent depuis longtemps et cultivent une amitiĂ©. Mais n'est-ce seulement que de l'amitiĂ© ?