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Mathias Sandorf

E-book


Jules Verne (1828-1905)

"Trieste, la capitale de l’Illyrie, se divise en deux villes trĂšs dissemblables : une ville neuve et riche, Theresienstadt, correctement bĂątie au bord de cette baie sur laquelle l’homme a conquis son sous-sol ; une ville vieille et pauvre irrĂ©guliĂšrement construite, resserrĂ©e entre le Corso, qui la sĂ©pare de la premiĂšre, et les pentes de la colline du Karst, dont le sommet est couronnĂ© par une citadelle d’aspect pittoresque.

Le port de Trieste est couvert par le mĂŽle de San-Carlo, prĂšs duquel mouillent de prĂ©fĂ©rence les navires du commerce. LĂ  se forment volontiers, et, parfois, en nombre inquiĂ©tant, des groupes de ces bohĂšmes, sans feu ni lieu, dont les habits, pantalons, gilets ou vestes, pourraient se passer de poches, car leurs propriĂ©taires n’ont jamais rien eu, et vraisemblablement n’auront jamais rien Ă  y mettre. Cependant, ce jour-lĂ , 18 mai 1867, peut-ĂȘtre eĂ»t-on remarquĂ©, au milieu de ces nomades, deux personnages un peu mieux vĂȘtus. Qu’ils dussent jamais ĂȘtre embarrassĂ©s de florins ou de kreutzers, c’était peu probable, Ă  moins que la chance ne tournĂąt en leur faveur. Ils Ă©taient gens, il est vrai, Ă  tout faire pour lui imprimer un tour favorable.

L’un s’appelait Sarcany et se disait Tripolitain. L’autre, Sicilien, se nommait Zirone. Tous deux, aprĂšs l’avoir parcouru pour la dixiĂšme fois, venaient de s’arrĂȘter Ă  l’extrĂ©mitĂ© du mĂŽle. De lĂ , ils regardaient l’horizon de mer, Ă  l’ouest du golfe de Trieste, comme s’il eĂ»t dĂ» apparaĂźtre au large un navire qui portĂąt leur fortune !

"Quelle heure est-il ?" demanda Zirone, dans cette langue italienne, que son compagnon parlait aussi couramment que les autres idiomes de la Méditerranée.

Sarcany ne répondit pas.

"Eh ! suis-je assez sot ! s’écria le Sicilien. N’est-il pas l’heure Ă  laquelle on a faim, quand on a oubliĂ© de dĂ©jeuner !"

Deux misérables coquins, Sarcany et Zirone, tuent un pigeon pour le manger ; or le volatile est porteur d'un message crypté... Les deux hommes sont persuadés qu'il s'agit d'un message lié à un complot hongrois contre le joug autrichien...