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Nanon

E-book


George Sand (1804-1876)

"J’entreprends, dans un Ăąge avancĂ©, en 1850, d’écrire l’histoire de ma jeunesse.

Mon but n’est pas d’intĂ©resser Ă  ma personne ; il est de conserver pour mes enfants et petits-enfants le souvenir cher et sacrĂ© de celui qui fut mon Ă©poux.

Je ne sais pas si je pourrai raconter par Ă©crit, moi qui, Ă  douze ans, ne savais pas encore lire. Je ferai comme je pourrai.

Je vais prendre les choses de haut et tĂącher de retrouver les premiers souvenirs de mon enfance. Ils sont trĂšs confus, comme ceux des enfants dont on ne dĂ©veloppe pas l’intelligence par l’éducation. Je sais que je suis nĂ©e en 1775, que je n’avais ni pĂšre ni mĂšre dĂšs l’ñge de cinq ans, et je ne me rappelle pas les avoir connus. Ils moururent tous deux de la petite vĂ©role dont je faillis mourir avec eux, l’inoculation n’avait pas pĂ©nĂ©trĂ© chez nous. Je fus Ă©levĂ©e par un vieux grand-oncle qui Ă©tait veuf et qui avait deux petits-fils orphelins comme moi et un peu plus ĂągĂ©s que moi.

Nous Ă©tions parmi les plus pauvres paysans de la paroisse. Nous ne demandions pourtant pas l’aumĂŽne ; mon grand-oncle travaillait encore comme journalier, et ses deux petits-fils commençaient Ă  gagner leur vie ; mais nous n’avions pas une seule pelletĂ©e de terre Ă  nous et on avait bien de la peine Ă  payer le loyer d’une mĂ©chante maison couverte en chaume et d’un petit jardin oĂč il ne poussait presque rien sous les chĂątaigniers du voisin, qui le couvraient de leur ombre. Heureusement, les chĂątaignes tombaient chez nous et nous les aidions un peu Ă  tomber ; on ne pouvait pas le trouver mauvais, puisque les maĂźtresses branches venaient chez nous et faisaient du tort Ă  nos raves."

Nanon, devenue marquise de Franqueville, écrit ses Mémoires. A la veille de la Révolution qui commence à se faire entendre dans les villes, Nanon n'est qu'une petite paysanne, pauvre et illettrée, que son grand-oncle élÚve. En gardant son unique mouton, elle fait la connaissance d'un jeune novice : Emilien...