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Numa Roumestan : Moeurs parisiennes

E-book


Alphonse Daudet (1840-1897)

"Ce dimanche-lĂ , un dimanche de juillet chauffĂ© Ă  blanc, il y avait, Ă  l’occasion du concours rĂ©gional, une grande fĂȘte de jour aux arĂšnes d’Aps-en-Provence. Toute la ville Ă©tait venue : les tisserands du Chemin-Neuf, l’aristocratie du quartier de la Calade, mĂȘme du monde de Beaucaire.

« Cinquante mille personnes au moins ! » disait le Forum dans sa chronique du lendemain ; mais on doit tenir compte de l’enflure mĂ©ridionale.

Le vrai, c’est qu’une foule Ă©norme s’étageait, s’écrasait sur les gradins brĂ»lĂ©s du vieil amphithĂ©Ăątre, comme au beau temps des Antonins, et que la fĂȘte des comices n’était pour rien dans ce dĂ©bordement de peuple. Il fallait autre chose que les courses landaises, les luttes pour hommes et demi-hommes, les jeux de l’étrange-chat et du saut sur l’outre, les concours de flĂ»tets et de tambourins, spectacles locaux plus usĂ©s que la pierre rousse des arĂšnes, pour rester deux heures debout sur ces dalles flambantes, deux heures dans ce soleil tuant, aveuglant, Ă  respirer de la flamme et de la poussiĂšre Ă  odeur de poudre, Ă  braver les ophtalmies, les insolations, les fiĂšvres pernicieuses, tous les dangers, toutes les tortures de ce qu’on appelle lĂ -bas une fĂȘte de jour.

Le grand attrait du concours, c’était Numa Roumestan.

Ah ! le proverbe qui dit : « Nul n’est prophĂšte... » est certainement vrai des artistes, des poĂštes, dont les compatriotes sont toujours les derniers Ă  reconnaĂźtre la supĂ©rioritĂ©, toute idĂ©ale en somme et sans effets visibles ; mais il ne saurait s’appliquer aux hommes d’État, aux cĂ©lĂ©britĂ©s politiques ou industrielles, Ă  ces fortes gloires de rapport qui se monnayent en faveurs, en influences, se reflĂštent en bĂ©nĂ©dictions de toutes sortes sur la ville et sur l’habitant."

Numa Roumestan est monté de sa Provence à Paris pour devenir avocat. Sa réussite et sa renommée le propulsent dans la politique ; il est devenu un pur produit de la société parisienne. Mais quand il retourne au pays, il redevient un vrai Provençal. Le "Numa provençal" et le "Numa parisien" ne sont pas faits pour cohabiter et cela pose des problÚmes au futur ministre !