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Sapho : Moeurs parisiennes

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Alphonse Daudet (1840-1897)

"– Regardez-moi, voyons... J’aime la couleur de vos yeux... Comment vous appelez-vous ?

– Jean.

– Jean tout court ?

– Jean Gaussin.

– Du Midi, j’entends ça... Quel ñge ?

– Vingt et un ans.

– Artiste ?

– Non, madame.

– Ah ! tant mieux...

Ces bouts de phrases, presque inintelligibles au milieu des cris, des rires, des airs de danse d’une fĂȘte travestie, s’échangeaient – une nuit de juin – entre un pifferaro et une femme fellah dans la serre de palmiers, de fougĂšres arborescentes, qui faisait le fond de l’atelier de DĂ©chelette.

Au pressant interrogatoire de l’Égyptienne, le pifferaro rĂ©pondait avec l’ingĂ©nuitĂ© de son Ăąge tendre, l’abandon, le soulagement d’un MĂ©ridional restĂ© longtemps sans parler. Étranger Ă  tout ce monde de peintres, de sculpteurs, perdu dĂšs en entrant dans le bal par l’ami qui l’avait amenĂ©, il se morfondait depuis deux heures, promenant sa jolie figure de blond hĂąlĂ© et dorĂ© par le soleil, les cheveux en frisons serrĂ©s et courts comme la peau de mouton de son costume ; et un succĂšs, dont il ne se doutait guĂšre, se levait et chuchotait autour de lui.

Des Ă©paules de danseurs le bousculaient brusquement, des rires de rapins blaguaient la cornemuse qu’il portait tout de travers et sa dĂ©froque de montagne, lourde et gĂȘnante dans cette nuit d’étĂ©. Une Japonaise aux yeux de faubourg, des couteaux d’acier tenant son chignon remontĂ©, fredonnait en l’agaçant : Ah ! qu’il est beau, qu’il est beau, le postillon... ; tandis qu’une novio espagnole en blanches dentelles de soie, passant au bras d’un chef apache, lui fourrait violemment sous le nez son bouquet de jasmins blancs."

Jean, fils de bonne famille provençale, est monté à Paris pour ses études ; il se destine à une carriÚre ministérielle. Lors d'un bal costumé, il rencontre Fanny, plus connue sous le nom de Sapho dans le milieu de la bohÚme. Premier amour pour Jean et dernier amour pour Fanny qui est plus ùgée que lui...