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Sous les yeux d'Occident

E-book


Joseph Conrad (1857-1924)

"Le dĂ©but du journal de M. Razumov a trait Ă  l’assassinat d’un homme d’État Ă©minent, Ă©vĂ©nement caractĂ©ristique de la Russie moderne, et plus caractĂ©ristique encore de la corruption morale d’une sociĂ©tĂ© opprimĂ©e oĂč les plus nobles aspirations de l’humanitĂ© : dĂ©sir de libertĂ©, patriotisme ardent, amour de la justice, sens de la pitiĂ©, fidĂ©litĂ© mĂȘme des Ăąmes simples, sont livrĂ©es aux frĂ©nĂ©sies de la haine et de la crainte compagnes insĂ©parables d’un despotisme inquiet.

Le fait dont je veux parler est l’attentat, couronnĂ© de succĂšs, contre la vie de M. de P..., PrĂ©sident de la fameuse commission de RĂ©pression d’il y a quelques annĂ©es, et Ministre d’État investi de pouvoirs extraordinaires. Les journaux ont fait assez de bruit autour de ce personnage fanatique dont la poitrine Ă©troite Ă©tait serrĂ©e dans un uniforme brodĂ© d’or ; dans sa figure de parchemin ridĂ©, des yeux sans Ă©clat s’abritaient derriĂšre des lunettes et la croix de l’Ordre de Sainte-Procope pendait Ă  son cou dĂ©charnĂ©. À une Ă©poque, si vous vous en souvenez, il ne se passait pas de mois sans que son portrait ne parĂ»t dans une des revues illustrĂ©es d’Europe. Il servait la monarchie en emprisonnant, en exilant ou en envoyant Ă  l’échafaud, hommes et femmes, jeunes et vieux, avec une activitĂ© impitoyable et toujours Ă©gale. Dans son acceptation mystique du principe d’autocratie, il s’était appliquĂ© Ă  extirper du pays les derniers vestiges de ce qui pouvait, dans les institutions publiques, rappeler la libertĂ©, et son impitoyable persĂ©cution de la gĂ©nĂ©ration nouvelle semblait viser Ă  la destruction mĂȘme de tout espoir de libertĂ©."

XIXe siÚcle. Un professeur de langues traduit le journal d'un étudiant russe : Razumov. Ce dernier a été en contact avec l'assassin d'un ministre qui s'est réfugié chez lui... Doit-il le dénoncer ou l'aider ?