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Souvenirs de la maison des morts

E-book


Fiodor DostoĂŻevsky (1821-1881)

"Au milieu des steppes, des montagnes ou des forĂȘts impraticables des contrĂ©es reculĂ©es de la SibĂ©rie, on rencontre, de loin en loin, de petites villes d’un millier ou deux d’habitants, entiĂšrement bĂąties en bois, fort laides, avec deux Ă©glises, – l’une au centre de la ville, l’autre dans le cimetiĂšre, – en un mot, des villes qui ressemblent beaucoup plus Ă  un bon village de la banlieue de Moscou qu’à une ville proprement dite. La plupart du temps, elles sont abondamment pourvues de maĂźtres de police, d’assesseurs et autres employĂ©s subalternes. S’il fait froid en SibĂ©rie, le service du gouvernement y est en revanche extraordinairement avantageux. Les habitants sont des gens simples, sans idĂ©es libĂ©rales ; leurs mƓurs sont antiques, solides et consacrĂ©es par le temps. Les fonctionnaires, qui forment Ă  bon droit la noblesse sibĂ©rienne, sont ou des gens du pays, SibĂ©riens enracinĂ©s, ou des arrivants de Russie. Ces derniers viennent tout droit des capitales, sĂ©duits par la haute paye, par la subvention extraordinaire pour frais de voyage et par d’autres espĂ©rances non moins tentantes pour l’avenir. Ceux qui savent rĂ©soudre le problĂšme de la vie restent presque toujours en SibĂ©rie et s’y fixent dĂ©finitivement. Les fruits abondants et savoureux qu’ils rĂ©coltent plus tard les dĂ©dommagent amplement ; quant aux autres, gens lĂ©gers et qui ne savent pas rĂ©soudre ce problĂšme, ils s’ennuient bientĂŽt en SibĂ©rie et se demandent avec regret pourquoi ils ont fait la bĂȘtise d’y venir. C’est avec impatience qu’ils tuent les trois ans, – terme lĂ©gal de leur sĂ©jour ; – une fois leur engagement expirĂ©, ils sollicitent leur retour et reviennent chez eux en dĂ©nigrant la SibĂ©rie et en s’en moquant. Ils ont tort, car c’est un pays de bĂ©atitude, non seulement en ce qui concerne le service public, mais encore Ă  bien d’autres points de vue. Le climat est excellent ; les marchands sont riches et hospitaliers ; les EuropĂ©ens aisĂ©s y sont nombreux. Quant aux jeunes filles, elles ressemblent Ă  des roses fleuries ; leur moralitĂ© est irrĂ©prochable. Le gibier court dans les rues et vient se jeter contre le chasseur. On y boit du champagne en quantitĂ© prodigieuse ; le caviar est Ă©tonnant ; la rĂ©colte rend quelquefois quinze pour un. En un mot, c’est une terre bĂ©nie dont il faut seulement savoir profiter, et l’on en profite fort bien !"

Fiodor Dostoïevsky, qui a purgé une peine de 4 ans en Sibérie, nous plonge dans l"univers des bagnes russes du XIXe siÚcle.

Le noble Alexandre Petrovitch est condamné à 10 ans d'enfermement. Sur un carnet, il note ce qui a trait à son séjour ; le comportement des détenus, des gardiens, les punitions, les brimades... tout ce qui fait sa nouvelle vie.