« Les uns et les autres ne connaissent pas, dit lâhomme, la glace que nous portons la nuit sur nos Ă©paules, qui croĂźt pendant nos rĂȘves, nous entoure dâune calotte dâun crĂ©puscule Ă lâautre. Ils ne savent rien de ça, ils vont ici et lĂ , se dĂ©placent comme des bulles. »
Un homme, le roman de Christina Mirjol, retrace en trois chapitres les conditions de survie hĂ©roĂŻques dâun homme sans domicile. Ce parfait anonyme, ce naufragĂ© des rues, on le devine dâemblĂ©e, est choisi par lâauteure parmi des centaines dâautres.
Câest dans le contexte glacial de lâhiver 2012 en Europe, au milieu dâune foule attendant lâouverture des portes dâun cinĂ©ma, que survient la rencontre dĂ©chirante entre lâhomme et un couple. Une femme et son mari, tous deux en proie au froid, sont saisis de stupeur devant lâapparition de cet homme peu vĂȘtu : « Une veste trop petite et ne couvrant quâĂ peine la longueur de ses bras, pas de gants. ». Lâempathie que dĂ©clenche cette tragĂ©die du quotidien (le froid intolĂ©rable amplifiant les projections et la vision poignante entraĂźnant les hantises), dĂ©bouche sans crier gare sur le dernier chapitre. On nâentend dĂ©sormais plus que la voix de lâhomme. Dans son humanitĂ©, lâhomme parle Ă son caddie, Ă ses membres qui ont froid, Ă sa pauvre jambe gourde. Dans lâunivers glacĂ© quâil sâapprĂȘte Ă traverser, les grues qui barrent le ciel et les tours impassibles de la Grande BibliothĂšque encouragent son pĂ©riple, contiennent le vent violent... Sâamorce au petit matin, sous un ciel bleu acier, lâĂ©popĂ©e dâun invisible.
Dans son recueil de nouvelles, Les invitĂ©es, Christina Mirjol abordait le phĂ©nomĂšne de la mort sous toutes ses facettes et selon son impact sur les (sur)vivants. Dans ce deuxiĂšme ouvrage publiĂ© chez ĂLP Ă©diteur, elle traduit la dimension Ă©pique de lâhomme dans des conditions extrĂȘmes, sa dĂ©ambulation quotidienne obligatoire, pour ne pas mourir de froid, pour trouver une place Ă l'abri, pour s'isoler des regards indiscrets, pour continuer Ă ĂȘtre Un homme...
Ses autres romans, Suzanne ou le récit de la honte (prix Thyde Monnier, la SGDL, 2008), DerniÚres lueurs, et le recueil de nouvelles Les petits gouffres (prix Renaissance de la nouvelle, 2012) sont publiés au Mercure de France.