(0)

Vieilles histoires du pays breton

E-book


Anatole Le Braz (1859-1926)

"Elle s’appelait de son vrai nom Marguerite CharlĂšs. Mais les gens l’avaient baptisĂ©e « la CharlĂ©zenn ».

Ce fut dĂšs l’enfance une singuliĂšre fille, aux libres allures. Toujours grimpĂ©e dans les arbres, entre le ciel et la terre, comme un jeune chat sauvage, elle envoyait de lĂ -haut sa chanson aux passants qui cheminaient en bas, dans la route. De qui Ă©tait-elle nĂ©e ? On n’en savait rien. On disait dans le pays qu’elle n’avait eu « ni pĂšre, ni mĂšre ». Elle n’avait rien Ă  elle sous le soleil, pas mĂȘme le nom sous lequel on l’avait inscrite au registre de paroisse. Si pourtant ! elle avait Ă  elle sa beautĂ©. Une beautĂ© insolite, Ă©trange, comme toute sa personne, comme toute son histoire ou plutĂŽt sa lĂ©gende. Ce n’est pas qu’elle fĂ»t prĂ©cisĂ©ment jolie. Elle avait le nez un peu fort, et aiguisĂ© en bec d’aigle. De mĂȘme, ses cheveux dĂ©plaisaient, Ă  cause de leur couleur. On a en Basse-Bretagne un prĂ©jugĂ© contre les rousses. Ils Ă©taient cependant magnifiques, ces cheveux. Amples et fournis comme une toison, rutilants comme une criniĂšre. On eĂ»t dit, autour de sa tĂȘte, un buisson ardent, une broussaille de feu. Ses yeux, en revanche, Ă©taient d’un bleu tranquille, presque dĂ©lavĂ©. Leur nuance Ă©tait douce – et triste. C’étaient des yeux timides, enfantins, faciles Ă  effaroucher. Ses lĂšvres trĂšs fines, un peu serrĂ©es, montraient en s’ouvrant des dents petites et comme passĂ©es Ă  la lime. Avec tout cela, ou, si vous prĂ©fĂ©rez, en dĂ©pit de tout cela, la CharlĂ©zenn, quoiqu’elle eĂ»t dix-sept ans Ă  peine, attirait l’attention des jeunes hommes. Les commĂšres racontaient aux veillĂ©es qu’elle les ensorcelait. Comme preuve Ă  l’appui, elles citaient l’aventure de « Cloarec Rozmar ». "

Anatole Le Braz a, durant toute sa vie, collecté inlassablement les vieilles histoires, légendes et autres récits de la culture populaire bretonne...