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Corneille - Le Cid

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La fondation du ThĂ©Ăątre National Populaire ajouta une dimension au thĂ©Ăątre français d'aprĂšs-guerre, celle de la jeunesse - celle peut-ĂȘtre aussi, de l'enthousiasme. Du jour au lendemain, il fut admis que les hĂ©ros de Corneille pouvaient, ou peu s'en faut, avoir l'Ăąge des comĂ©diens, et qu'entre le public et la scĂšne devait s'Ă©tablir une communion d'intĂ©rĂȘt, n'ayant d'autre centre que la piĂšce elle-mĂȘme, servie avec la mĂȘme foi par comĂ©diens et spectateurs. Si bien que l'on en vint, entre autres, Ă  prendre le thĂ©Ăątre classique au sĂ©rieux, que pour la premiĂšre fois depuis longtemps, des jeunes gens de 1950 purent s'identifier Ă  Rodrigue, des jeunes filles Ă  ChimĂšne. Ce qui, jusque-lĂ , demeurait tirade devient chair et sang ; le musĂ©e s'ouvrit Ă  la vie, le plan scolaire rejoignit le plan humain. Et d'un seul coup, l'Ă©ternelle jeunesse du Cid sautait aux yeux, l'aspect moderne des prĂ©occupations cornĂ©liennes frappait d'Ă©bahissement les publics les moins initiĂ©s. Car en somme, quelle est la cible de Rodrigue et de ChimĂšne, sinon de se rĂ©aliser, et viser la seule rĂ©ocmpense de qualitĂ©, en un siĂšcle d'angoisses et d'incertitudes : la gloire, qui s'attache Ă  tout ĂȘtre qui se dĂ©passe ? Transposez Rodrigue et ChimĂšne au XXe siĂšcle : ils forcent le mur du son, ils ravissent l'aurĂ©ole du Kon-Tiki et de l'Annapurna, ils bondissent dans le cosmos. La vertu de cet humanisme sportif n'a pas Ă©chappĂ© Ă  notre jeunesse. Eprise d'absolu et non de formalisme, d'universel et non de confinĂ©, elle a senti que, par-delĂ  toutes les servitudes des morales particularistes, Le Cide instaurait de façon dĂ©finitive une certaine religion de l'homme. Homme de tous les siĂšcles, pas plus Français qu'Espagnol, Rodrigue "fait son acte" comme l'Oreste de Sartre le ferait encor s'il avait Ă  le faire, tant il est vrai que luciditĂ© et raison sont Ă  la base de cette inĂ©branlable volontĂ©. Mais l'homme n'est pas que muscles et sang-froid ; il est tendresse et Ă©motion, et c'est de ce complexe que naĂźt l'essence dramatique du hĂ©ros. ScĂšnes d'intimitĂ©, confidences, monologues, replacent les thĂšmes gĂ©nĂ©raux dans un contexte privĂ©. Ces hommes, ces femmes ne sont pas des statues allĂ©goriques, c'est vous, c'est moi, avec nos souffrances et nos espoirs.