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Paire 21

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G@rp

Paire 21

Il avait une dizaine d'annĂ©es, encore qu'il fĂ»t difficile de lui donner un Ăąge – il n'en avait pas besoin et vous le rendait aussitĂŽt avec un sourire, en penchant la tĂȘte :

« Merci bien, mais j'ai déjà tout ce qu'il me faut. »

Sa petite voix flĂ»tĂ©e vous tombait dessus tandis que son regard filait au-dessus de votre tĂȘte, en un silencieux vol planĂ©, pour aller pirouetter au loin, dans le ciel, slalomer entre les rayons du soleil, en compagnie des mouettes.

Du haut de son escalier il regardait la mer dans l'espoir qu'elle le remarque, lui fasse un signe, un clin d'Ɠil, en sorte, qui scellerait Ă  jamais leur complicitĂ©.

La premiĂšre marche de l'escalier Ă©tait son fief, son fief Ă©tait de l'escalier la plus haute marche. Cela dĂ©pendait de l'endroit de la rue d'oĂč on le dĂ©couvrait soudain, tout le quartier vous l'aurait dit – « C'est une question de perspective » – en articulant nettement chaque syllabe. Soit vous descendiez vers la mer et aperceviez l'enfant de dos, soit vous remontiez du port et c'Ă©tait l'inverse. A moins qu'il ne s'agisse du contraire
 De mĂȘme, ceux du haut du quartier lui trouvaient un air plus triste, plus renfermĂ© que les habitants de ce qu'ici on appelle « la ville basse », les plus proches de la mer. Probablement une autre question de

« pers-pec-tive. »

Du haut de son escalier il continuait Ă  fixer la mer, ignorant ce qui se passait dans son dos ou quelques marches plus bas. Il quittait sa place sur le coup de midi qui ne lui avait jamais fait le moindre mal – tout maigrichon qu'il Ă©tait, rien ne semblait pouvoir l'atteindre : ni coup de midi, ni coup de vent, ni coup d'Ɠil. Il mangeait ensuite un morceau sur le pouce. Cela se savait aussi dans le quartier, Ă  tel point que certains se demandaient Ă  quoi pouvaient bien lui servir ses autres doigts.

Une fois son repas avalé, il fonçait coudes au corps réinvestir sa place attitrée, jusqu'au soir.

Coudes au corps


Dans la mĂ©moire collective, il avait toujours Ă©tĂ© assis lĂ , sur cette marche d'escalier. Personne ne savait ce qu'il y affectionnait. D'aucuns soutiennent que personne n'osa jamais lui poser la question ; pour d'autres, personne n'eut besoin d'ĂȘtre soutenu pour lui poser cette question, Ă  laquelle il avait rĂ©pondu de son sourire offert tĂȘte penchĂ©e.

L'été venu, de toutes les curiosités que les touristes photographiaient, le gamin dans l'escalier était sans nul doute la plus célÚbre : image multiple véhiculée en bandouliÚre par le monde entier, nichée dans l'obscurité de centaines de pellicules à développer. Lui, n'avait pas besoin de voyager pour voyager.

Il Ă©tait bien plus loin de son escalier que sa silhouette assise lĂ  ne le laissait supposer.

Ailleurs.

Dans le ciel. Slalomant entre les rayons du soleil.

En compagnie des mouettes.

Survolant la mer.

Depuis le haut de son escalier.

PerpĂ©tuel rĂȘveur.

RĂȘveur Ă  perpĂ©tuitĂ© pour un simple chromosome surnumĂ©raire.

Sur la paire 21.

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