René Bazin (1853-1932)
"– Vas-tu te taire, Bas-Rouge ! Tu reconnais donc pas les gens d’ici ?
Le chien, un bâtard de vingt races mêlées, au poil gris floconneux, qui s’achevait en mèches fauves sur le devant des pattes, cessa aussitôt d’aboyer à la barrière, suivit, en trottant, la bordure d’herbe qui cernait le champ, et, satisfait du devoir accompli, s’assit à l’extrémité de la rangée de choux qu’effeuillait le métayer. Par le même chemin, un homme s’approchait, la tête au vent, guêtré, vêtu de vieux velours à côtes de teinte foncée. Il avait l’allure égale et directe des marcheurs de profession. Ses traits tirés et pâles, dans le collier de barbe noire, ses yeux, qui faisaient par habitude le tour des haies et ne se posaient guère, disaient la fatigue, la défiance, l’autorité contestée d’un délégué du maître. C’était le garde régisseur du marquis de la Fromentière. Il s’arrêta derrière Bas-Rouge, dont les paupières eurent un clignement furtif, dont l’oreille ne remua même pas.
– Eh ! bonjour, Lumineau !
– Bonjour !
– J’ai à vous parler : monsieur le marquis a écrit."
Toussaint Lumineau tient sa métairie de main de maître bien que les temps soient durs. Mais il n'en va pas de même avec ses enfants : Mathurin, l'aîné est infirme ; François et Eléonore rêvent de la ville ; André n'est pas encore rentré de l'armée et la dernière, Marie-Rose, est amoureuse du valet de ferme Jean, un "étranger" au Marais.
Déjà le malaise paysan et l'exode rural à la fin du XIXe siècle...