Ce livre s’intéresse aux prises de parole féminines sur un sujet aussi complexe que l’alcool(isme), depuis la fin du XIXe siècle avec le mouvement antialcoolique naissant, jusqu’à la fin du XXe siècle. Il cherche à circonscrire, au prisme de ces discours, la catastrophe que décrivent les médias français dans les années 1980, « l’alcoolisme chez les femmes ». Et ce, au moment même où guéries, les buveuses commencent à prendre la parole – à la radio, dans l’émission Les problèmes du cœur animée par Menie Grégoire, puis à la télévision, avec Laure Charpentier, écrivaine et première femme ancienne malade à se présenter au petit écran à visage découvert.
À la croisée de l’histoire des femmes, du genre, de la médecine, des addictions, des médias et des associations, l’argumentaire de ce livre se déploie en trois parties aux titres empruntés au vocabulaire de la Croix-Bleue. Importée de la Suisse en France en 1883, cette association protestante milite pour l’abstinence totale et s’occupe du « relèvement des buveurs » : c’est la précurseure des Alcooliques anonymes. Trois motifs d’adhésion sont arrêtés pour ses membres : « pour encourager les faibles », à l’intention de ceux qui ne boivent pas et veulent donner un exemple aux autres ; « pour se préserver ou pour d’autres motifs », afin de limiter sa consommation et aider ceux qui ont une personne malade dans leur entourage ; et « pour se corriger », pour les alcooliques. Ces expressions sont ainsi utilisées pour caractériser les discours féminins : ceux des militantes engagées volontairement, ceux des épouses souffrant des abus de leurs maris, enfin, ceux des buveuses nécessitant du soutien.