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Les nuits de la Maison-Dorée

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Maxime et Raymond ne voulaient point, sans doute, toucher à leur fourchette avant l'arrivée du troisième convive.

Raymond se levait de temps à autre, allait ouvrir la fenêtre et se penchait au dehors, sans nul souci de la pluie fine et pénétrante qui mouillait l'asphalte des trottoirs.

- Rien ! rien ! murmurait-il, hormis mon cocher qui dort sur son siège et le tien qui lit un journal du soir à la lueur d'un réverbère. Antonia ne viendra pas !...

Puis il revenait s'asseoir en face de Maxime et rallumait son cigare à l'une des bougies placées sur la table.

- Ah çà ! mon cher, dit Maxime, comme Raymond répétait pour la troisième fois : "Antonia ne viendra pas !" es-tu fou ce soir ?

- Moi, fou ?

- Sans doute.

- Pourquoi cette question ?

- Tu es jeune et beau, tu as cinquante mille livres de rente, tu passes pour un des hommes à la mode, et tu veux qu'Antonia ne vienne pas !

- Peut-être ne m'aime-t-elle plus ?

- Ô coeur naïf ! murmura Maxime. L'homme qui a cinquante mille livres de rente est toujours aimé.

- Tu crois ?

Et Raymond eut un sourire triste.

- Mais, reprit Maxime, quelle singulière idée as-tu donc eue de nous inviter ce soir, moi ton vieil ami, elle la femme que tu aimes, à venir souper ici, en partie fine, comme des étudiants qui ont reçu leur pension mensuelle et veulent éblouir des grisettes ?