Peu de spectacles donnent au même degré que les ruines de Carthage l’impression de l’oubli qui recouvre les grandeurs du passé. Nulle part le Delenda Carthago ne vous saisit comme une aussi poignante réalité. Les Romains se sont acquittés en conscience de leur œuvre, et la civilisation a achevé ce que le fer des vainqueurs avait épargné. Les pierres de Carthage, après avoir été réemployées dans la ville romaine, ont servi et servent encore tous les jours à édifier les maisons de Tunis ; les marbres de ses colonnes ornent les cathédrales de l’Italie et celles du midi de la France.
Du promontoire d’où l’on découvre au loin la baie de Tunis et la belle ligne des montagnes qui la ferment du côté du sud, le regard se promène sur des mouvements de terrain dans lesquels un œil exercé peut seul reconnaître l’emplacement de l’ancienne Carthage. Pas même de ruines. Assez loin, du côté de Tunis, brillent au soleil deux flaques d’eau que l’on appelle les ports de Carthage et qui en formaient sans doute l’arrière-port. Les trous des grandes citernes, le cirque et l’amphithéâtre, tous deux d’époque romaine, et le long alignement des aqueducs qui fuient dans la direction de Zaghouan, voilà tout ce qui reste de Carthage. Non loin de la mer, se dresse sur la colline que l’on croit avoir été Byrsa, au milieu d’un terrain acheté par la France, la basilique de Saint-Louis, où ont été recueillies successivement les antiquités trouvées à Carthage, et qui en a été le premier musée et le seul, jusqu’au moment où René de La Blanchère eut aménagé le palais de la Manouba pour y réunir les résultats des fouilles de la direction des Antiquités en Tunisie.