(0)

La San Felice VI

E-book


Revenant d'Aboukir oĂč la flotte britannique a vaincu Bonaparte, l'Amiral Nelson est reçu en triomphateur Ă  la cour de Naples. Garat, ambassadeur de la RĂ©publique, fait irruption dans cette manifestation d'hostilitĂ© anti-française et promet la guerre au Royaume de Naples. Trop vite cependant : le soir mĂȘme, Salvato Palmieri, agent envoyĂ© de Rome par le gĂ©nĂ©ral Championnet pour informer Garat de la situation des Français et l'inviter Ă  gagner du temps, est attaquĂ© par les sbires de la reine Marie-Caroline de Naples. LaissĂ© pour mort, il est recueilli par Luisa San Felice, jeune Napolitaine Ă©pouse du chevalier San Felice, vieil homme de lumiĂšres et bibliothĂ©caire Ă  la cour. Extrait : -~Nelson n'est point, mon cher gĂ©nĂ©ral, un homme de cour comme moi, ni un homme d'Ă©ducation comme vous. ExceptĂ© son Ă©tat de marin, il ne connaĂźt rien au monde~; seulement, il a le gĂ©nie de la mer. Non~: Nelson, c'est un paysan, un bouledogue de la vieille Angleterre, un grossier marin, fils d'un simple pasteur de village, qui, toujours isolĂ© du monde sur son bĂątiment, n'est jamais entrĂ© ou plutĂŽt n'Ă©tait jamais entrĂ©, avant Aboukir, dans un palais, n'avait jamais saluĂ© un roi, mis un genou en terre devant une reine. Il est arrivĂ© Ă  Naples, lui, le navigateur des terres australes, habituĂ© Ă  disputer aux ours blancs leurs cavernes de glace~; il a Ă©tĂ© Ă©bloui par l'Ă©clat du soleil, aveuglĂ© par le feu des diamants. Lui, l'Ă©poux d'une bourgeoise, d'une mistress Nisbet, il a vu la reine lui donner sa main et une ambassadrice ses lĂšvres Ă  baiser, -- et non pas une reine et une ambassadrice, je me trompe~; non pas deux femmes, deux sirĂšnes~! -- alors, il est devenu purement et simplement l'esclave de l'une et le serviteur de l'autre. Toutes les notions du bien et du mal ont Ă©tĂ© confondues dans ce pauvre cerveau~; les intĂ©rĂȘts des peuples ont disparu devant les droits fictifs ou rĂ©els des souverains. Il s'est fait l'ApĂŽtre du despotisme, le sĂ©ide de la royautĂ©. Si vous l'aviez vu hier, pendant cette confĂ©rence oĂč la royautĂ© Ă©tait reprĂ©sentĂ©e par ce que L'EcclĂ©siaste appelle l'ÉtrangĂšre, par cette Venus AstartĂ©, par cette impure Lesbienne~! Ses yeux, ou plutĂŽt son Ɠil ne quittait point ses yeux~: la haine et la vengeance parlaient par la bouche muette de cette ambassadrice de la mort. J'avais pitiĂ©, je vous le jure, de cet autre Adamastor, mettant volontairement sa tĂȘte sous le pied d'une femme. Au reste, tous les grands hommes, -- et, Ă  tout prendre, Nelson est un grand homme, -- tous les grands hommes ont de ces dĂ©faillances-lĂ , d'Hercule Ă  Samson et de Samson Ă  Marc-Antoine.