Auguste Gilbert de Voisins (1877-1939)
"Que notre habitation chinoise m’offre donc un charmant accueil ! – Voici le lieu où, quelques semaines, nous vivrons avant de repartir.
Au centre, est une cour plantée de fleurs ; devant la porte, deux grands arbres s’éploient, pleins de corneilles, et, sous la voûte d’entrée, pend une belle lanterne, citrouille en papier rouge, marquée des caractères Force et Puissance.
Qu’il fera bon se promener dans cette cour ! Dans ces vastes chambres aérées, qu’il fera bon rêver, écrire et sommeiller ! Aujourd’hui, dix-huitième jour de la cinquième lune, je sens monter en moi une âme chinoise et je ne m’étonne presque pas quand notre cuisinier vient me présenter ses premiers hommages en s’éventant d’un petit éventail de papier.
Chaque détail me séduit : les ornements sculptés des portes, le luisant des meubles noirs, le toit froncé qui nous couvrira si bien de ses tuiles, les plantes de la cour dont l’air libre et dégourdi me plaît. À vivre ici longtemps, je prendrais, je le gage, mille habitudes de courtoisie chinoise, puis j’en viendrais à raisonner comme un Chinois, et c’est enfin d’un œil mandarinal que je contemplerais le monde. Déjà je m’étonne que Ségalen n’ait pas changé, soit resté le même, dans ce petit univers composé d’éléments si nouveaux. Ou, peut-être, au plus profond de son âme, des variations se sont-elles faites, secrètement, qui, demain, me seront révélées."
Carnet de voyage.
En 1909, Auguste Gilbert de Voisins rejoint son ami Victor Segalen, à Pékin. Les deux hommes partent, à cheval, à travers la Chine centrale ; une aventure qui durera 10 mois...