Ce livre, un des meilleurs d’Alphonse Boudard, est une tranche de vie saignante comme une hémoptysie, une chronique du temps où les malades étaient encore presque considérés comme des détenus de droit commun.
«L'hosto, quand on y a séjourné longtemps et qu'on a failli y clamser, on y reste toujours un peu. Il vous fascine, vous obsède... on se dit qu'on y reviendra un jour ou l'autre. Il est l'image de notre mort... la mort des pauvres. J'en ai tant vu des mecs dévisser là-dedans, jeunes, vieux, ivrognes ou sobres, je n'arrive plus à oublier. Je voudrais, je m'efforce, et puis ça m'alpague au tournant d'une rue... J'aperçois le portail, une grille... ça me file les jetons. Comme la taule, tous les lieux de vacherie. J'aurais préféré vous raconter de merveilleux voyages, croyez-moi... Je vous instruis, vous divertis avec ce que je sais. J'invente rien, je réorganise ma souvenance et puis je fais danser les mots, je vous les amène le plus guilleret puisqu'il faut bien rire jusqu'au bout. On charrie dans sa mémoire les hommes, les endroits, les instants... ça vous fait une drôle de fresque... tous ces cadavres qui défilent, ces vivants stropias, grelotteux, ces tronches d'assassins, de marlous, de pédés, d'idiots, de viceloques.» Alphonse Boudard.
Nous sommes au début des années 50. Les antibiotiques ont fait leur apparition, mais la tuberculose n'est pas encore vaincue. Restent les services de phtisiologie des hôpitaux et des sanatoriums. Alphonse Boudard, dans ce qu'il appelle son hostobiographie, raconte ses différents séjours dans les salles communes des hôpitaux parisiens et dans les sanas de l'Assistance publique. Les malades s'entassent. La promiscuité est épouyantable. On boit du gros rouge comme on consomme une drogue. On meurt, on souffre... mais sans pourtant oublier le monde qui vous entoure avec les séquelles de la dernière guerre, avec la pauvreté, le stalinisme, les haines de toutes sortes recuites dans l'étuve de la vie communautaire.
Alphonse Boudard est une légende de la littérature française d'après guerre aux côtés de René Fallet, Albert Simonin ou encore Antoine Blondin.
Né à Paris en 1925, de père inconnu et de mère trop connue, il est élevé dans le 13e arrondissement prolétaire. Résistant de la première heure, il reçoit la médaille militaire. Mais après la guerre, il vit de petits boulots et traficote. Il glisse doucement mais sûrement vers la pègre. Plusieurs séjours en prison et sanatorium lui inspireront La Cerise et L'Hôpital. À 33 ans, il se consacre à l'écriture. Sa langue est verte, nourrie de l'argot et du langage populaire. Ses romans sont largement autobiographiques. Au cinéma, il collabore avec Michel Audiard, puis écrira pour Jean Gabin.