Discours entre Clemenceau et Ferry au sujet de la décolonisation française
Avec un bel éclat, les deux discours qu’on va lire donnent à connaître, ramassé, le débat où s’affrontèrent, en un moment décisif, le camp des partisans de la colonisation et celui de ses adversaires : par les grandes voix de deux orateurs essentiels.
La résonance de l’une sur l’autre démonstration était destinée, nous le savons maintenant, à évoluer en profondeur dans la suite des temps. Un demi-siècle plus tard, vers l’époque de l’exposition coloniale de 1931, apogée d’un grand dessein, Jules Ferry aurait rallié à ses thèses la majorité des Français, les générations qui avaient assimilé, sur les bancs de l’école, en face des cartes suspendues à côté du tableau noir et portant la couleur rose de nos emprises planétaires, la fierté que leur pays pouvait en tirer. Mais cent ans après, une fois qu’aurait soufflé le grand vent de la décolonisation, Clemenceau apparaîtrait, au contraire, comme celui dont la lucidité avait porté la conscience prémonitoire de l’illégitimité d’une domination de notre peuple sur d’autres qui n’en pouvaient.
Les comptes-rendus des débats du Parlement recèlent des trésors, lorsque les tribuns les plus éloquents et les plus inspirés y confrontent leurs visions de la société et leur conception de la place de la France dans le monde. Le duel oratoire de Jules Ferry et de Georges Clemenceau sur la question coloniale, en juillet 1885, à la Chambre des députés, donne à connaître avec éclat l’opposition de deux tempéraments, de deux doctrines, de deux morales.
En se protégeant contre l’anachronisme, on découvrira dans leurs discours, reproduits ici pour la première fois en intégralité, quels échos leurs propos peuvent trouver, aujourd’hui encore, au cœur de nos interrogations contemporaines.
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EXTRAIT
M. le président : – L’ordre du jour appelle la suite de la de la discussion du projet de loi portant ouverture au ministre de la Marine et des Colonies, au titre de l’exercice de 1885, d’un crédit extraordinaire de 12190000 francs pour les dépenses occasionnées par les événements de Madagascar. La parole est à M. Jules Ferry.
M. Jules Ferry: – Messieurs, bien que j’aie eu souvent l’occasion, pendant les deux années durant lesquelles vous m’avez maintenu votre confiance, de m’expliquer sur les origines, sur la portée, sur le caractère de la politique coloniale, et particulièrement, à propos de cette affaire de Madagascar, sur les limites que la sagesse et la prudence politiques doivent imposer à notre expansion coloniale, j’ai pensé, et la majorité de la Chambre, par un vote émis hier, et pour lequel je lui exprime ma profonde gratitude, a pensé aussi…
M. Achard: – Il n’y a pas eu d’opposition !
M. le président : – Messieurs, veuillez faire silence.
M. Jules Ferry: – S’il n’y a pas eu d’opposition, ma gratitude n’en est que plus grande…