H.-G. Wells (1866-1946)
"– Leur Progrès, comme ils disent, ça marche, déclara M. Tom Smallways, ça marche, et l’on se demande comment ça peut toujours marcher.
M. Smallways faisait cette remarque longtemps avant le début de la guerre dans les airs, accoté contre la palissade, au bout de son jardin, et, d’un regard qui n’exprimait ni louange ni blâme, il contemplait la vaste usine à gaz de Bun Hill. Au-dessus des gazomètres pressés les uns contre les autres, trois formes étranges apparurent, grandes vessies flasques qui se balançaient lourdement, devenaient plus rondes et plus énormes – des ballons que l’on gonflait pour les ascensions hebdomadaires de l’Aéro-Club.
– C’est comme ça tous les samedis, précisa le voisin M. Stringer, le laitier. Pas plus tard qu’hier, tout le monde se serait précipité pour voir un ballon partir, et maintenant il n’y a pas un trou à la campagne qui n’ait son départ de ballon tous les dimanches... Heureusement pour les compagnies du gaz !
– Samedi dernier, répliqua M. Smallways, j’ai été obligé de ramasser trois brouettées de gravier dans mes pommes de terre... trois brouettées de lest qu’ils nous ont versées sur la tête. Ils m’ont écrasé les touffes qui n’étaient pas enterrées.
– Il y a des dames, parait-il, qui montent là-dedans...
– Si on peut appeler ça des dames... En tout cas, ce n’est pas l’idée que je me fais d’une dame... Grimper en l’air et jeter des tas de sable sur le monde, ce n’est pas cela qu’on m’a enseigné à considérer comme une occupation pour des dames.
M. Stringer approuva de la tête, et les deux voisins continuèrent à surveiller les masses boursouflées, avec une expression qui avait passé de l’indifférence à la désapprobation."
Roman d'anticipation écrit en 1907.
Bert Smallways vit tranquillement dans une petite ville d'Angleterre. Avec son associé Grubb, il vivote de la location de vélos et la réparation mécanique. Rien ne le prédestinait à se retrouver à bord du dirigeable allemand qui allait agresser New-York et déclencher une terrible guerre mondiale sans fin...