L’histoire de la littérature ne se souvient plus guère de Paulin Gagne (1808-1876). Contrairement à Gustave Flaubert, à Louise Colet et à Tristan Corbière, elle ne sait plus rien de l’auteur du Suicide, de La philanthro pophagie, de L’Unitéide et d’Omégar, pour épingler quelques titres d’une production surabondante. Tout au plus, elle le considère comme un « fou littéraire », catégorie floue et par là inopérante.
Au rebours de cette histoire obsédée par les classements et les palmarès, Pierre Popovic montre que Gagne est un « absorbeur sémiotique », qu’il a entendu, et bien entendu, ce que disait l’« imaginaire social » du second Empire et qu’il est donc un excellent révélateur de la culture dix-neuviémiste et de ses fantasmatiques. Pour reconnaître cela, il faut prendre au sérieux les discours de celui qu’on a longtemps décrit comme le poète qui faisait rire de lui.
Lire Paulin Gagne aujourd’hui, c’est dépouiller des journaux, interroger les aliénistes, étudier les chroniqueurs de la vie littéraire, replonger son œuvre dans la masse des discours contemporains. C’est montrer par l’exemple quelle peut être la valeur d’un saut dans l’étrangeté, d’un travail sur le plus déclassé des poètes. C’est le faire dialoguer avec Chateaubriand, avec George Sand, avec Auguste Comte, voire avec les deux Napoléon. C’est accepter d’entendre la douleur du plus isolé des littérateurs. C’est aussi rendre au xixe français une partie de son épaisseur perdue.
Pierre Popovic est professeur à l’Université de Montréal. Il a notamment publié La contradiction du poème : poésie et discours social au Québec de 1948 à 1953 (1992), Entretiens avec Gilles Marcotte. De la littérature avant toute chose (1996), Un livre dont vous êtes l’intellectuel (avec Michel Biron, 1998) et Le village québécois d’aujourd’hui. Glossaire (avec Benoît Melançon, 2001).
• Prix Raymond-Klibansky de la Fédération canadienne des sciences humaines (2009-2010)