Les forces innombrables, infiniment variées, dont l’ensemble compose l’univers jouent sans cesse un jeu auquel l’homme ne peut jamais, quoi qu’il fasse, demeurer indifférent. Sa destinée en effet suit toujours plus ou moins les chances diverses de la partie engagée. Il s’efforce donc, autant qu’il est en lui, de diriger les coups, et pour cela d’entrevoir, comme disait Jouffroy, le dessous des cartes dont la nature physique ne lui présente que le dessus. Entrevoir le dessous des cartes dans le jeu des choses entre elles et avec nous, c’est pénétrer jusqu’au sanctuaire mystérieux où se cachent les énergies secrètes, les âmes, en un mot les causes secondes. C’est affirmer l’existence, déterminer la nature, marquer les caractères distinctifs des puissances de l’univers, non d’après l’expérience, qui n’a pas d’yeux pour les apercevoir, mais d’après l’idée que s’en forme la raison. C’est travailler à cette science supérieure qui répand les clartés idéales sur la confuse réalité. Ceux-là y travaillent qui conçoivent et affirment l’atome d’éther dans les vibrations lumineuses, l’atome chimique au sein de la molécule de l’or et du cristal, l’âme sous le tissu de la plante, l’esprit dans les volontés de l’animal. Le philosophe ne mérite son nom qu’à la condition de démontrer ces conceptions diverses et d’en former une interprétation plus ou moins complète de l’univers. Alors la nature apparaît, grâce à lui, non plus comme une énigme indéchiffrable, mais comme une œuvre admirablement intelligible…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean Charles Lévêque (1818-1900) est un philosophe français spécialisé en métaphysique et esthétique. Agrégé de philosophie en 1842, il enseigne dans plusieurs lycées avant de devenir professeur au Collège de France en 1857. Il est reconnu pour ses travaux sur la science du beau et récompensé par plusieurs académies. Membre de l’Académie des sciences morales et politiques dès 1865, il laisse son nom à un prix de métaphysique.