Les systèmes collectivistes, du moins ceux qui se rattachent au « matérialisme économique et historique », sont trop souvent fondés sur la considération exclusive du travail manuel et du sort des ouvriers. Leur tendance est de négliger ou de rejeter au dernier plan le travail mental et moral. Qui donc a défini le matérialisme économique : la révolte des bras contre la tête ? Cette erreur finit par se répandre en dehors même des collectivistes. N’entendons-nous pas chaque jour classer les professions libérales au nombre des « improductives », souvent par des hommes qui y sont adonnés, parfois même par des littérateurs soudainement enivrés de ce qu’on nomme d’un terme barbare « l’industrialisme ? » Il semble, à les entendre, que les travailleurs d’esprit soient des « parasites ! »…
La loi historique qui veut que la science dans les sociétés humaines devienne de plus en plus dominante, efficace et créatrice est la réfutation du matérialisme économique. Le progrès est menacé par un système qui n’attribue ni à l’effort intellectuel et moral, ni à l’inspiration du génie la part prépondérante. Au rôle de Marthe il sacrifie celui de Marie, comme inutile et « improductif » ; mais nous avons vu que, sans le contemplateur et le chercheur, sans l’homme à idées, quel qu’il soit, le travailleur manuel serait bientôt réduit à l’impuissance : la pensée est supérieure à tous les outils.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Alfred Fouillée (1838-1912) est un philosophe français connu pour sa notion d’« idée-force » et son adage juridique « Qui dit contractuel, dit juste ». Agrégé de philosophie en 1864, il enseigne avant de se consacrer pleinement à la recherche. Son œuvre tente de concilier positivisme et idéalisme en insistant sur le rôle actif de l’esprit. Il développe l’idée que la pensée influence la réalité par une action consciente. Son Histoire de la philosophie a été la première du genre publiée au Japon.