Il y a quelque cent ans, on était « humain », et volontiers « sensible » ; et, en vérité, l’égoïsme n’y perdait rien, mais on s’honorait de pleurer sur les maux de ses semblables, comme d’une preuve de « philosophie ». De nos jours, cuirassé d’individualisme, chacun a conscience de l’isolement où se meuvent, quoi qu’elles pensent, disent ou fassent, les pauvres créatures que nous sommes. Et cependant, ni le sentiment de cette solitude des âmes, pareilles à peu près les unes aux autres quoique indéfiniment différentes, si douloureusement ressentie par les meilleurs d’entre nous ; ni le pessimisme de notre philosophie ; ni la violence des divisions politiques ou sociales n’empêchent le 19è siècle, auquel on voudrait persuader qu’il est plus égoïste que ses aînés, d’avoir vu naître et grandir une forme du dévouement filial, plus complète qu’aucune de celles que l’on avait jusqu’à lui pratiquées.
Il faut en effet plus d’abnégation pour constituer à vos héritiers, par le paiement d’une prime annuelle, une fortune dont, créateur sacrifié, vous ne verrez jamais un centime, puisqu’elle ne naîtra que par votre mort, qu’il ne fallait de désintéressement pour accumuler dans ses propres mains une épargne dont on avait la satisfaction de jouir, avant de la transmettre à ses successeurs. Cette thésaurisation altruiste revêt le caractère collectif que le temps actuel imprime à ses principales créations...