George Sand (1804-1876)
"Sédentaire par devoir, tu crois, mon cher François, qu’emporté par le fier et capricieux dada de l’indépendance, je n’ai pas connu de plus ardent plaisir en ce monde que celui de traverser mers et montagnes, lacs et vallées. Hélas ! mes plus beaux, mes plus doux voyages, je les ai faits au coin de mon feu, les pieds dans la cendre chaude et les coudes appuyés sur les bras râpés du fauteuil de ma grand’mère. Je ne doute pas que tu n’en fasses d’aussi agréables et de plus poétiques mille fois : c’est pourquoi je te conseille de ne pas trop regretter ton temps, ni ta peine, ni tes sueurs sous les tropiques, ni tes pieds glacés sur les plaines neigeuses du pôle, ni les affreuses tempêtes essuyées sur mer, ni les attaques de brigands, ni aucun des dangers, ni aucune des fatigues que tous les soirs tu affrontes en imagination sans quitter tes pantoufles, et sans autre dommage que quelques brûlures de cigare à la doublure de ton pourpoint.
Pour te réconcilier avec la privation d’espace réel et de mouvement physique, je t’envoie la relation du dernier voyage que j’ai fait hors de France, certain que tu me plaindras plus que tu ne m’envieras, et que tu trouveras trop chèrement achetés quelques élans d’admiration et quelques heures de ravissement disputés à la mauvaise fortune."
Lors de l'hiver 1838/39, George Sand séjourne dans l'île de Majorque avec ses enfants et Frédéric Chopin. Elle admire les paysages et l'architecture mais le courant ne passe pas avec les habitants...