Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947)
"Le président parlait toujours.
La séance du conseil général, qui avait commencé à sept heures, durait encore à dix heures du soir.
Le président disait :
"Câest des histoires. On nâa jamais trĂšs bien su ce qui sâĂ©tait passĂ© lĂ -haut, et il y a vingt ans de ça, et câest vieux. Le plus clair de la chose Ă mon avis câest que voilĂ vingt ans quâon laisse perdre ainsi de la belle herbe, de quoi nourrir septante bĂȘtes tout lâĂ©tĂ© ; alors, si vous pensez que la commune est assez riche pour se payer ce luxe, dites-le ; mais, moi, je ne le pense pas, et câest moi qui suis responsable..."
Notre prĂ©sident Maurice PrĂąlong, parce quâil avait Ă©tĂ© nommĂ© par les jeunes, et le parti des jeunes le soutenait ; mais il y avait le parti des vieux.
"Câest justement, disait Munier, tu es trop jeune. Nous, au contraire, on se rappelle."
Alors il a racontĂ© une fois de plus ce qui sâĂ©tait passĂ©, il y a vingt ans, dans ce pĂąturage dâen haut, nommĂ© Sasseneire et il disait :
"On tient Ă notre herbe autant que vous, autant que vous on a souci des finances de la commune ; seulement lâargent compte-t-il encore, quand câest notre vie qui est en jeu ?"
Ce qui fit rire ; mais lui :
"Que si, comme je dis, et je dis bien, et je redis...
â Allons ! disait le prĂ©sident..."
Les jeunes le soutenaient toujours, mais les vieux protestĂšrent encore ; et Munier :
"Je dis la vie, la vie des bĂȘtes, la vie des gens...
â Allons, recommençait le prĂ©sident, câest des histoires..."
Pourquoi le pùturage de Sasseneire est abandonné depuis 20 ans ? Pourquoi une partie du village, notamment les anciens, refuse aujourd'hui le retour des troupeaux là -haut ? Le conseil vote...