René Crevel (1900-1935)
"Du soleil et de la tradition. Une lumière éclatante et le ferme propos de ne pas se laisser éblouir, etc., etc.
Les symboles pourraient ne point limiter leur jeu à ce double balancement d’images. Mais un esprit pondéré ne va pas se jucher sur une escarpolette d’antithèse qui, dans ses plus hautes volées, ne dominerait que métaphores hasardeuses et promenades parsemées de ces pièges à loup où viennent se prendre non les grands carnassiers mais l’innocente course beige des biches.
Aujourd’hui, ici, la troupe des idées cabriolantes ne se trouverait pourtant guère menacée. La mélancolie aux dents de brouillard ne sait mordre que dans du clair de lune. Et nous sommes en plein midi. Voilà pour le temps. Quant au lieu, l’empire romain a passé par là. Il y est même demeuré, s’est incorporé au sol de cette colline, l’a discipliné, militarisé, métamorphosant une terre amorphe en terrasses.
Un des puissants de ce monde, un des maîtres de l’opinion dont le sens de l’ordre se plaît à évoquer le grand passé classique, non pour de vains regrets mais pour de très viriles résolutions, va son chemin, – qui n’a certes rien d’un petit bonhomme, – bien calé dans une auto digne de la route romaine. Cette voiture toute neuve est de marque française car, si, à l’époque des Césars, on en était, et pour quelque temps encore, à la locomotion hippomobile, il importe de témoigner, dans les achats de véhicules à moteur, d’une solidarité sinon française, du moins latine et, à la rigueur, européenne, mais alors strictement européenne, car, après tous les tours qu’ils nous ont joués, les fils de l’oncle Sam, leur armée de Bonus, leurs gangsters, leurs milliardaires krackants et krackés, n’ont qu’à aller se faire pendre ailleurs."
Bienvenue dans le monde surréaliste et féroce de René Crevel...