Deux femmes, deux destins, deux Amériques.
Anna, promise à une brillante carrière, étudie à l’université de Washington. Cerise, lycéenne de milieu modeste, vit en Californie sous l’emprise douloureuse de sa mère. Lorsque chacune tombe enceinte par accident, Anna avorte et Cerise garde l’enfant.
Des années plus tard, ce choix aura déterminé le cours de leur vie.
D’espoirs en déceptions, de joies en drames, Anna et Cerise, bientôt réunies par le hasard, apprennent à être mères et à être femmes.
À travers ce face à face poignant, Jean Hegland interroge la maternité, l’éducation et la quête de soi. Une expérience universelle de sororité.
Aude
04/08/2024
Pour une fois, je trouve que le titre français « Apaiser nos tempêtes » trouvé par Franck Bouysse correspond mieux au roman que son titre original « Windsfalls ». Il y a là toutes les promesses de ces orages qui vont tonner fort et qu’il va falloir dompter… comme on peut, avec ses propres armes. « Apaiser nos tempêtes » explore des existences féminines. Il pourrait s’agir de votre vie, de nos vies à toutes, bousculées par la force des vents, de ce qui peut frapper une vie de femme. Jean Hegland leur donne deux prénoms, Anna et Cerise. La première vient d’un milieu plutôt aisé, étudie à l’université, a de grandes aspirations pour sa vie future. La seconde est issue d’un milieu plus modeste, est encore lycéenne et les projets futurs ne font pas encore partie de ses préoccupations. Anna et Cerise sont très différentes et pourtant, une chose va les rapprocher sans qu’elles le sachent : elles vont tomber enceintes au même moment. Il est impossible pour Anna d’envisager cette grossesse, elle décide d’avorter. En proie à un énorme désarroi, ne pouvant en parler à sa mère, Cerise contacte l’association Life-Right qui, évidemment, la convainc de garder le bébé. Mes émotions, tel un tsunami, venues s’insinuer jusque sous ma chair commencent à ce moment précis. Lors de l’avortement d’Anna, scène terrible qui vous donne envie de hurler pour lui venir en aide (« Personne ne lui avait raconté qu’il essaierait de la fendre en deux, de l’évider comme une pomme, personne ne lui avait parlé de la douleur rouge, odieuse, implacable. »), lors du discours de Sylvia et Jon déterminés à persuader Cerise de garder l’enfant malgré son jeune âge et sa situation précaire. (« Dieu ne fabrique rien qui soit bon à jeter. ») Jean Hegland part de cet évènement pour dérouler ensuite les existences de chacune. Si besoin en est, je vous rassure immédiatement : il n’y a pas de jugement dans ce texte, l’une de va pas être encensée par les Dieux et l’autre flagellée ad vitam aeternam. Chacune devra affronter des épreuves, différentes certes, mais complexes quand même, et chacune devra y faire face. Jean Hegland a fait le choix narratif de faire des bonds dans le temps pour mettre la lumière sur des moments précis des vies d’Anna et de Cerise, mais le sujet central reste omniprésent : être femme et être mère. Deux voix, deux points de vue, deux existences. Certains diront que l’auteur a versé dans la facilité en distribuant les rôles. Je ne trouve pas. Elle établit un état des lieux très précis de la situation aux États-Unis sur le sujet controversé de l’avortement (et encore, l’interdiction de l’avortement au Texas fin 2021 n’y est pas abordée puisqu’elle a eu lieu après ma sortie du roman) et détricote un schéma de pensée très prégnant dans la société américaine. Les scènes qui y sont associées, insoutenables, sont bien le reflet d’une époque, même si, aujourd’hui, les associations semblables à Life-Right ont pris encore plus d’ampleur et cannibalisent les entrées des cliniques pratiquant l’acte. Ces sauts dans le temps par l’alternance des voix donnent à l’auteur de formidables opportunités pour aborder plusieurs questions essentielles liées d’abord au fait d’être une femme, ensuite à celui d’être une mère. Pour Cerise, le choix d’avoir cet enfant n’était pas un vrai choix, il a été poussé par la rencontre avec deux êtres qui lui ont clairement fait peur (ah la menace du châtiment divin !). Sa vie est semée d’embûches dues à la précarité de sa situation. Les jeunes années avec Melody, sa fille, les fameux « samedis matin » de brossage de cheveux et de dessins se transformeront en disputes incessantes et en divergences d’opinions constantes quand la petite fille deviendra adolescente. Pour survivre, Cerise devra accepter de petits boulots mal payés, compter chaque sou. Un évènement tragique, si traumatique viendra fendre sa vie en deux. Il y aura un avant et un après. Pour Anna dont le destin lui donnera deux enfants quand elle l’aura décidé, la vie n’est pas simple non plus. Pour élever ses filles, elle devra renoncer… d’abord à qui elle est, ensuite à ce qu’elle aime par-dessus tout, faire des photos. Noyée dans les tâches domestiques, submergée par des sacrifices qui lui crèvent le cœur, déstabilisée devant sa fille aînée perpétuellement triste et seule qui rend son quotidien angoissant, Anna surnage dans sa vie de mère. Être femme n’existe plus. Encore une fois, une question majeure s’est posée à l’écoute de « Apaiser nos tempêtes ». Aurais-je éprouvé les mêmes émotions à la lecture ? La réponse est oui, mille fois oui. J’ai oscillé entre une peine immense dans le premier tiers, une compassion de sororité dans la seconde, une tendresse considérable dans la dernière. Mais… la voix de la narratrice, Maia Baran a incontestablement décuplé mes émotions. D’abord, elle incarne incroyablement ces deux femmes, comme si, elle racontait des épisodes de son propre vécu. Elle est habitée, je ne peux pas l’exprimer autrement. L’alternance des voix se fait souvent de manière inopinée et pourtant, l’auditeur sait immédiatement dans la vie de quelle femme il se trouve. La voix de Maia offre de belles modulations pour s’accrocher au plus près de chacune. Elle possède le sens du rythme, et j’ai senti une grande considération pour le texte, presque de l’humilité devant les mots, voire de l’admiration. Il serait très intéressant de savoir ce que la narratrice pense d’« Apaiser nos tempêtes » parce que moi j’ai la certitude qu’elle a adoré le lire. Sa voix, très douce, chaleureuse, moelleuse, au phrasé calme devient plus grave lorsque des drames surviennent. Ainsi, certaines scènes, comme les incendies de Californie dont Jean Hegland parle dans sa préface, vous clouent sur place. Elle parvient à faire exister les lieux, donne vie aux cinq sens (oui, j’ai senti l’odeur de brûlé). Nos vécus respectifs ont certainement un rôle important à jouer dans la façon dont nous réagissons à un texte, mais je crois que c’est plus fort encore quand nous l’écoutons. J’ai réellement vécu les incendies californiens lorsque je vivais à Santa Barbara, le feu qui descend de la montagne en emmenant tout sur son passage, la fumée âcre, les cendres grises, puis la pluie qui fait s’écrouler la montagne en déversant des tonnes de boue, emportant alors maisons, voitures et êtres humains. Dans ma vie de femme, je me suis sentie parfois comme Cerise, ou comme Anna, heureuse ou désespérée, optimiste ou désabusée, combative ou résignée. La voix de Maia Baran fait ressortir tout ça : votre passé, vos combats intérieurs, vos méditations personnelles, vos souvenirs, votre mémoire émotionnelle de femme, puis de mère. La voix de Maia Baran donne vie à ces deux femmes impossibles à oublier dont les histoires respectives resteront longtemps gravées dans mon cœur de lectrice. Une écoute sous haute tension émotionnelle.
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