Théophile Gautier (1811-1872)
"Qui a bu boira," assure le proverbe ; on pourrait modifier légèrement la formule, et dire avec non moins de justesse : "Qui a voyagé voyagera." – La soif de voir, comme l’autre soif, s’irrite au lieu de s’éteindre en se satisfaisant. Me voici à Constantinople, et déjà je songe au Caire et à l’Égypte. L’Espagne, l’Italie, l’Afrique, l’Angleterre, la Belgique, la Hollande, une partie de l’Allemagne, la Suisse, les îles grecques, quelques échelles de la côte d’Asie, visitées à plusieurs époques et à diverses reprises, n’ont fait qu’augmenter ce désir de vagabondage cosmopolite. Le voyage est peut-être un élément dangereux à introduire dans la vie, car il trouble profondément et cause des inquiétudes semblables à celles des oiseaux de passage prisonniers au moment des migrations, si quelque circonstance ou quelque devoir vous empêche de partir. On sait que l’on va s’exposer à des fatigues, à des privations, à des ennuis, à des périls même, il en coûte de renoncer à de chères habitudes d’esprit et de cœur, de quitter sa famille, ses amis, ses relations, pour l’inconnu, et cependant l’on sent qu’il est impossible de rester, et ceux qui vous aiment n’essayent pas de vous retenir et vous serrent silencieusement la main sur le marchepied de la voiture. En effet, ne faut-il pas parcourir un peu la planète sur laquelle nous gravitons à travers l’immensité, jusqu’à ce que le mystérieux auteur nous transporte dans un monde nouveau pour nous faire lire une autre page de son œuvre infinie ? N’est-ce pas une coupable paresse d’épeler toujours le même mot sans jamais tourner le feuillet ? Quel poète serait satisfait de voir le lecteur s’en tenir à une seule de ses strophes ?"
Le romancier et poète Théophile Gautier, en 1852, part pour Constantinople.et nous conte son voyage...