Pierre Drieu la Rochelle (1893-1945)
"À ce moment, Alain regardait Lydia avec acharnement. Mais il la scrutait ainsi depuis qu’elle était arrivée à Paris, trois jours plus tôt. Qu’attendait-il ? Un soudain éclaircissement sur elle ou sur lui.
Lydia le regardait aussi, avec des yeux dilatés, mais non pas intenses. Et bientôt elle détourna la tête, et, ses paupières s’abaissant, elle s’absorba. Dans quoi ? Dans elle-même ? Était-ce elle, cette colère grondante et satisfaite qui gonflait son cou et son ventre ? Ce n’était que l’humeur d’un instant. C’était déjà fini.
Ce qui fit qu’il cessa aussi de la regarder. Pour lui, la sensation avait glissé, une fois de plus insaisissable, comme une couleuvre entre deux cailloux. Il resta un moment immobile, couché sur elle ; mais il ne s’abandonnait pas, crispé, soulevé sur ses coudes. Puis, comme sa chair s’oubliait, il se sentit inutile, et se renversa à côté d’elle. Elle était allongée presque au bord du lit ; il eut juste la place de se maintenir sur le flanc, tout contre elle, plus haut qu’elle.
Lydia rouvrit les yeux. Elle n’aperçut qu’un buste velu, pas de tête. Elle ne s’en soucia pas : elle n’avait rien éprouvé non plus de très violent, mais pourtant le déclic s’était produit, et c’était tout ce qu’elle avait jamais connu, cette sensation, sans rayons mais nette.
La maigre lumière, qui grelottait dans l’ampoule du plafond, révélait à peine, à travers l’écharpe dont Alain l’avait enveloppée, des murs ou des meubles inconnus."
Alain est un homme à la dérive, prisonnier de ses addictions et de ses démons intérieurs. Après une tentative de désintoxication ratée, il se retrouve enfermé dans une maison de repos où il se livre à une introspection douloureuse.