André Gide (1869-1951)
"21 juillet. – Troisième jour de traversée.
Indicible langueur. Heures sans contenu ni contour.
Après deux mauvais jours, le ciel bleuit ; la mer se calme ; l’air tiédit. Un vol d’hirondelles suit le navire.
On ne bercera jamais assez les enfants, du temps de leur prime jeunesse. Et même je serais d’avis qu’on usât, pour les calmer, les endormir, d’appareils profondément bousculatoires. Pour moi, qui fus élevé selon des méthodes rationnelles, je ne connus jamais, de par ordre de ma mère, que des lits fixes ; grâce à quoi je suis aujourd’hui particulièrement sujet au mal de mer.
Pourtant je tiens bon ; je tâche d’apprivoiser le vertige, et constate que, ma foi, je tiens mieux que nombre de passagers. Le souvenir de mes six dernières traversées (Maroc, Corse, Tunisie) me rassure.
Compagnons de traversée : administrateurs et commerçants. Je crois bien que nous sommes les seuls à voyager « pour le plaisir ».
– Qu’est-ce que vous allez chercher là-bas ?
– J’attends d’être là-bas pour le savoir.
Carnet de voyage.
André Gide, accompagné du réalisateur Marc Allégret, effectue un voyage en Afrique Equatoriale Française, de juillet 1926 à mai 1927.