Paul Féval Fils (1860-1933)
"Avant 1789, le voyageur qui entrait dans Paris par la route de l’Est, après la traversée du remuant et populeux faubourg Saint-Antoine, se trouvait soudainement saisi par une vision lugubre.
Derrière une ceinture de fossés où stagnait une eau verdâtre, s’érigeait une titanique construction dont les pierres, noircies par quatre siècles, oppressaient lourdement les alentours.
Cela avait la forme d’un immense sarcophage.
Huit tours crénelées nouaient la ceinture des courtines et un bastion triangulaire poussait sa pointe vers le faubourg.
C’était la Bastille.
Vieille forteresse, élevée jadis contre l’Anglais, et qui, après avoir défendu Paris, semblait maintenant le menacer.
Richelieu, en effet, inaugurant en cela, comme en toutes choses, venait de transformer l’antique château royal en une prison d’État.
Qu’est-ce que cela, une prison d’État ? Tout simplement un lieu sûr où, pendant trois siècles, les maîtres du jour – ministre ou favorite – pourront envoyer, selon leur bon plaisir, quiconque gêne ou déplaît. Point de procès, point de formalités embarrassantes... surtout point de bruit. On entre là parfois sans savoir pourquoi ; on reste sans savoir jusqu’à quand ; et si l’on en sort enfin, c’est sans savoir comment."
Tome III
Suite de "Martyre de reine"