Henry Gréville (1842-1902)
"Le champ de foire bruissait et grouillait comme un immense rucher, dont les ruches auraient été des boutiques. La vieille lande grise de Sainte-Croix n’en paraissait point autrement émue, ce spectacle se renouvelant une fois par an, sous le plus ardent soleil d’août.
Dans un champ, clos de murailles de terre couronnées d’ajoncs épineux, deux ou trois gardiens avaient massé une prodigieuse quantité de véhicules : on en voyait de toutes formes et de toutes couleurs, depuis la haute charrette à foin, amenée pour remporter bien loin quelque gros bétail, jusqu’à la modeste carriole, à peine assez grande pour contenir un petit veau ; depuis l’élégante calèche d’un visiteur citadin, jusqu’au tilbury le plus exigu, en passant par la marengotte recouverte de toile cerclée, à laquelle ses deux roues et l’équilibre le plus instable dans le poids du chargement font courir à tout instant le risque de verser sur la grande route.
On criait, on jurait, on avait déjà prodigieusement bu. Les moques de faïence commune s’alignaient sous la toile verte des cafés en plein vent, sans cesse vidées et sans cesse remplies. Les familles ou les sociétés s’arrangeaient entre elles pour dîner ensemble, car la messe était finie, et midi depuis longtemps sonné à tous les appétits. Aussi les marchandes de pain avaient-elles fort à faire.
Une broche énorme supportée à chaque extrémité par deux perches en croix présentait à une gigantesque flambée tout un chapelet de gigots à divers degrés de cuisson : la fumée montait vers le ciel, grasse et savoureuse, évoquant dans la mémoire du notaire d’anciennes réminiscences du collège, à travers des lambeaux de vers latins."
Devenu orphelin, Bon-Louis est recueilli par un lointain cousin : Botrot.. Il grandit tranquillement bercé par l'amitié de sa cousine Véronique et celle de Vévette, la fille du marin-pêcheur La Haye qui deviendra son patron...